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Comment modifier son règlement intérieur pour gérer les convictions religieuses, politiques et philosophiques de ses salariés ?

29 novembre 2017 | Derriennic Associés |

Retour sur les conditions de validité de la clause de neutralité à l’aune de l’arrêt Cass. Soc. 22 novembre 2017 n° 13-19.855

Préambule : l’article L.1321-2-1 du Code du travail, introduit par la loi Travail du 8 août 2016, permet d’insérer au règlement intérieur de l’entreprise une clause de neutralité « restreignant la manifestation des convictions des salariés », laquelle doit respecter les conditions suivantes :

  • les restrictions doivent être justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ;
  • elles doivent être proportionnées au but recherché.

Engagée le 15 juillet 2008, une salariée d’une entreprise de service numérique a été licenciée pour faute, le 22 juin 2009, pour avoir refusé d’ôter son foulard islamique lorsqu’elle intervenait dans des entreprises clientes de la société. Elle engageait alors une procédure prud’homale pour contester son licenciement en faisant valoir une mesure discriminatoire en raison de ses convictions religieuses.

Dans son arrêt du 18 avril 2013, la Cour d’appel de Paris avait jugé que le licenciement de la salariée était bien fondé en retenant, notamment, qu’une entreprise devait tenir compte de la diversité des clients et de leurs convictions et qu’elle était donc naturellement amenée à imposer aux employés qu’elle envoie au contact de sa clientèle une obligation de discrétion respectant les convictions de chacun, à la condition que la restriction qui en résulte soit justifiée par la nature de la tâche à effectuer et proportionnée au but recherché. En l’espèce, la Cour d’appel a relevé que la société avait respecté ces conditions dans la mesure où la restriction avait été imposée afin de ne pas gêner certains collaborateurs de la société cliente (restriction justifiée par les intérêts de l’entreprise) et était limitée aux contacts avec la clientèle, la salariée étant autorisée à exprimer ses convictions religieuses et à porter son foulard islamique au sein de son entreprise (restriction proportionnée).

La salariée a alors formé un pourvoi en Cassation et la Cour de Cassation a transmis une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne, laquelle a rendu deux arrêts le 14 mars 2017 aux termes desquels il ressort que :

  • l’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l’article L. 1321-5 du code du travail, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail,
  • cette clause doit être générale et indifférenciée, c’est-à-dire s’appliquer à toutes les convictions des salariés (religieuses, politiques,…) ;
  • cette clause ne doit s’appliquer qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients,
  • en présence du refus d’une salariée de se conformer à une telle clause dans l’exercice de ses activités professionnelles auprès des clients de l’entreprise, il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement.

Intégrant les conclusions de ces arrêts de la CJUE, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a alors, dans son arrêt du 22 novembre 2017, cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en retenant que :

  • L’interdiction faite à la salariée de porter le foulard islamique dans ses contacts avec les clients résultait seulement d’un ordre oral donné une salariée ;
  • Cet ordre visait un signe religieux déterminé, ce dont il résultait l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses.

Ainsi, l’introduction d’une clause de neutralité, emporte obligation pour l’employeur de respecter la stricte procédure de modification du règlement intérieur.

L’établissement d’un règlement intérieur est obligatoire dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins vingt salariés. Il est également possible de le mettre en place dans les entreprises dont l’effectif est inférieur à 20 salariés.

Pour rappel, les étapes de la modification du règlement sont les suivantes :

  • l’employeur doit recueillir l’avis préalable du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ; après sa mise en place, c’est dorénavant l’avis du Comité Social et Economique qui devra être recueilli par l’employeur ;
  • le règlement intérieur doit ensuite être communiqué à l’inspecteur du travail, avec l’avis des représentants du personnel (article L.1321-4 du Code du travail) ;
  • concernant les formalités de dépôt et de publicité, l’employeur doit déposer le règlement intérieur au greffe du conseil de prud’hommes et le porter, par tout moyen, à la connaissance des salariés (article R.1321-1 et R.1321-2 du Code du travail). En effet, la communication auprès du personnel doit être envisagée, afin que tous soient informés des règles retenues à l’égard des manifestations des convictions (religieuses, politiques, philosophiques) susceptibles de créer un trouble pour le personnel ou pour l’entreprise. L’employeur peut désormais utiliser l’intranet de l’entreprise et la messagerie électronique pour communiquer aux salariés les règles de neutralité inscrites au règlement intérieur.

Au-delà de ces obligations légales, le ministère du Travail invite vivement les employeurs à procéder à une démarche concertée, tant avec les représentants du personnel qu’avec les salariés, sur le sujet du fait religieux lorsque l’entreprise y est confrontée (consultation, groupe de travail, réunion d’échange par exemple).

En tout état de cause, l’adjonction d’une disposition concernant un principe de neutralité dans un règlement intérieur n’est pas une obligation, l’entreprise demeure libre de l’y inscrire ou non. Elle peut ainsi préférer opter pour une charte, dépourvue de toutes dispositions disciplinaires, où ne figure que des recommandations. Dès lors, ce type de charte ou guide ne relève plus du champ du règlement intérieur et la violation de ces recommandations ou conseils ne peut être sanctionnée par l’employeur.