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Contrat d’intégration : les juges sanctionnent le « chantage » à la signature d’un avenant et résilient le contrat aux torts du prestataire !

16 septembre 2019 | Derriennic Associés |

 

Cour d’appel d’Amiens, Chambre économique, Arrêt du 13 décembre 2018, Répertoire général nº 16/00587

Dans un contrat d’intégration au forfait, le fait de conditionner la poursuite de ses prestations à un accord sur un prix complémentaire doublant le prix initial peut constituer une faute du prestataire, en ce qu’il contrevient au caractère forfaitaire de l’accord, et justifie la décision du client de rompre le contrat.

Une société souhaitant mettre en place un nouveau système d’information sollicite un intégrateur avec lequel elle signe un premier contrat de prestations de services au terme duquel il rédige le cahier des charges et recommande la mise en place du logiciel ‘Oracle’. Les parties concluent ensuite un contrat d’intégration de progiciels moyennant un prix forfaitaire d’1,7M€. Les parties signent simultanément un contrat d’assistance à maîtrise d’ouvrage.

Suite aux difficultés en phase de réalisation rencontrées, un premier avenant est signé pour un montant de 400K€ ; quelques mois après, l’intégrateur engage une négociation sur un nouvel avenant modifiant le périmètre des prestations, doublant le prix du projet et redéfinissant le calendrier d’exécution. Les discussions n’aboutiront pas, le client demandant des garanties de bonne fin qui seront refusées par l’intégrateur.

Après mise en demeure et résiliation du contrat, le client a engagé une action pour obtenir réparation des préjudices subis. Le Tribunal de commerce de Compiègne, le 26 janvier 2016, prononce la résiliation du contrat d’intégration aux torts de l’intégrateur, condamne celui-ci à payer au client environ 2M€ de dommages et intérêts.

Le prestataire interjette appel, arguant principalement de la possibilité contractuelle de demandes de prestations supplémentaires et de complément de prix, que le client aurait accepté selon lui, ainsi que d’une révision du calendrier d’exécution qui aurait été réalisée de concert.

Le client, pour sa part, rappelle que l’acceptation du principe d’une augmentation de prix était sous réserve que l’intégrateur s’engage de façon ferme en termes de résultats et de délais de réalisation, ce que celui-ci n’a pas fait, proposant uniquement un protocole transactionnel inacceptable. Pour le client, c’est bien le prestataire qui a failli dans l’exécution de sa mission, remettant en cause le prix forfaitaire avec un doublement du budget et ne correspondant pas à un doublement du périmètre de la mission mais à une mauvaise évaluation initiale imputable à celui-ci.

La Cour va relever que si les parties ont bien envisagé d’élargir le périmètre du contrat à de nouvelles prestations et ont œuvré à un rapprochement dans la perspective d’une poursuite du projet, le prestataire qui n’a pas signé l’avenant proposé ne peut se prévaloir d’un accord du client pour modifier les termes initiaux du contrat ; un désaccord sur une augmentation du périmètre initial ne pouvait avoir d’autre incidence que de maintenir les parties dans le lien contractuel initial, aucune d’elles ne pouvant imposer à l’autre une extension de ce périmètre.

Pour les juges d’appel, l’intégrateur a clairement conditionné la poursuite de l’exécution du contrat initial à la signature d’un engagement de payer un prix supplémentaire (multipliant le prix du projet par 2) sans démontrer que les prestations supplémentaires envisagées étaient indispensables à l’exécution du contrat initial; le ferait-elle, il lui appartiendrait de s’expliquer sur le fait que ces prestations nécessaires n’étaient pas incluses dans le marché à forfait, indépendamment de la complexité réelle du projet d’intégration qu’elle était à même d’anticiper grâce à son expérience et aux missions déjà exécutées pour le client.

Ainsi l’augmentation de prix souhaitée par le prestataire résultait pour sa plus grande part d’un coût d’exécution des prestations initialement promises significativement plus important que la base sur laquelle elle avait proposé un prix forfaitaire et dans ces circonstances, le fait de conditionner la poursuite de ses prestations à un accord sur un prix complémentaire doublant le prix initial n’était pas justifié par les termes du contrat et constituait au contraire une faute en ce qu’il contrevenait au caractère forfaitaire de l’accord initial.

L’intégrateur faisait également valoir que le client avait exécuté le contrat de mauvaise foi en sollicitant un concurrent avant même la lettre de résiliation du contrat. Pour autant, selon la Cour, dès lors qu’il avait déjà annoncé son refus de poursuivre l’exécution du contrat sauf à percevoir un prix supplémentaire qui n’était pas justifié, que ses manquements avaient déjà été dénoncées, il ne saurait être reproché au client d’avoir recherché une solution alternative au regard du caractère particulièrement sensible et coûteux du projet.

Les juges concluent que la multiplicité des manquements retenus à l’encontre du prestataire et leurs conséquences dommageables justifient la décision du client de rompre le contrat et en conséquence, la Cour d’appel de Paris va confirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la résiliation du contrat aux torts de l’intégrateur.

Cependant, il sera noté la réduction significative du montant des dommages et intérêts alloués au client (912K€), faute pour ce dernier de démontrer son préjudice sur l’ensemble des postes.