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Le licenciement d’une ingénieure informatique refusant d’ôter son voile à la demande d’un client est annulé en l’absence d’une obligation de neutralité prévue dans le règlement intérieur

23 septembre 2019 | Derriennic Associés|

CA Versailles 18-4-2019 n° 18/02189, B. c/ Sté Micropole

Cet arrêt est l’aboutissement d’une longue procédure judiciaire qui a vu intervenir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour de cassation.

À l’appui de ce licenciement, l’employeur invoquait une règle de discrétion orale en vigueur dans l’entreprise. L’ingénieure a contesté son licenciement en justice. Les prud’hommes, puis la cour d’appel, l’avaient validé, le jugeant fondé « sur une cause réelle et sérieuse »

La Cour de cassation, après avoir interrogé la CJUE[1], a censuré l’arrêt de la cour d’appel de Paris[2]au motif que, faute d’obligation de neutralité prévue dans le règlement intérieur, le licenciement d’une salariée motivé par son refus d’ôter son voile lors de ses contacts avec la clientèle est discriminatoire[3].

En effet, il résulte des arrêts de la CJUE et de la Cour de cassation qu’une règle interne peut imposer aux salariés une obligation de neutralité générale leur interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux, à condition :

  • d’être prévue dans le règlement intérieurou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que celui-ci ;
  • d’être générale et indifférenciée;
  • de n’être appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients.

Saisie du renvoi après cassation la cour d’appel de Versailles se conforme aux enseignements de la CJUE et de la Cour de cassation et annule le licenciement jugé discriminatoire.

L’employeur faisait valoir qu’il existait bien dans l’entreprise une telle obligation de neutralité, sous forme de règle non écrite. La cour d’appel indique qu’une telle règle ne remplit pas les conditions posées par la jurisprudence, car elle doit être inscrite dans le règlement intérieur.

En outre, l’employeur n’allègue qu’une obligation de neutralité au regard de l’expression des convictions religieuses.  Or, selon la Cour d’Appel de Versailles, même si la règle invoquée ne fait aucune distinction entre les différentes confessions, croyances ou pratiques religieuses, une règle ayant pour seul objet d’encadrer le fait religieux n’opère pas de traitement identique de tous les travailleursde l’entreprise.Une telle règle constitue donc une discrimination directe fondée sur la religion.

Enfin, dans cette affaire, l’employeur ne justifie ni de l’existence de la règle non écrite qu’il invoque, ni du fait que cette règle ait été opposée à d’autres salariés. L’interdiction du port de signes religieux résultait seulement d’un ordre oral adressé à une seule salariée et visant un signe religieux déterminé.

Le licenciement de la salariée motivé par l’expression de ses convictions religieuses est donc annulé.

Le règlement intérieur (ou de la note de service) devient le support exclusif de l’instauration d’une politique de neutralité « contraignante » au sein de l’entreprise. Une clause de neutralité ne sera en effet opposable aux salariés qu’à la condition première d’y avoir été valablement inscrite.

Par ailleurs,  il conviendra de veiller à la rédaction de la clause, laquelle ne devra pas viser uniquement l’expression des convictions religieuses, mais également les convictions politiques et philosophiques pour remplir la condition de généralité.

Il ressort également de l’arrêt de la Cour de cassation précité, qu’en cas de refus du salarié de se conformer à une telle clause, l’employeur sera tenu de chercher à le reclasser dans un poste n’impliquant pas de contact visuel avec le client, avant d’envisager de le licencier.

[1]CJUE 14-3-2017 aff. 188/15

[2]CA Paris 18-4-2013 no 11-05892

[3]Cass. soc. 22-11-2017 no 13-19.855 FS-PBRI