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Nullité d’un contrat informatique pour réticence dolosive du prestataire

30 mars 2018 | Derriennic Associés|

 

Tribunal de Commerce de Paris, 1ère chambre, Jugement du 6 février 2018

La décision du prestataire de ne pas informer son client avant la signature du contrat, alors qu’il connaissait la nécessité de la sortie future du cadre forfaitaire contractuel, ne relève pas seulement d’un manquement à l’obligation de conseil et d’alerte du prestataire informatique vis-à-vis de son client mais est constitutif de réticence dolosive qui conduit le Tribunal à prononcer l’annulation du contrat.

Une société lance une consultation sur la base d’un cahier des charges en 2005 pour la réalisation d’un nouveau système informatique. Le projet est lancé début 2007 et le contrat prévoyant la mise en œuvre de la solution au forfait est conclu un an plus tard, pour un budget total d’environ 2M€.

La mise en œuvre du projet connait des difficultés, le prestataire informant son client 6 mois après la signature qu’il ne peut poursuivre le projet aux mêmes conditions financières.

Estimant que l’échec du projet était due au prestataire et lui avait causé un important préjudice, le client assigne son prestataire devant le TC en 2009. Le prestataire assigne en intervention forcée la société assistante à maitrise d’ouvrage. Une expertise a lieu entre 2011 et 2014.

Le client considère que le prestataire a commis des manœuvres dolosives telles que sans ces manœuvres, il n’aurait pas contracté, et demande en conséquence l’annulation du contrat pour dol et condamnation du prestataire à payer, sur le fondement de l’article 1382, des dommages et intérêts.

Subsidiairement il demande de constater la résiliation de plein droit avec effet rétroactif (résolution) aux torts exclusifs du prestataires qui a commis des manquements graves caractérisant une faute lourde équipollente au dol, aucune clause limitative de responsabilité ne pouvant être appliquée.

Les montants réclamés comprennent le remboursement, le coût de l’arrêt du projet, l’indemnisation du gain manqué et l’atteinte à l’image de marque et à la réputation, pour un total d’environ 11M€.

Selon le client, le prestataire a dissimulé le nombre de jours prévus pour la réalisation du projet et le dépassement budgétaire ainsi que le fait que sa solution n’était pas adaptée à ses besoins; il est pleinement responsable de l’échec du projet en raison de la violation de l’obligation de résultat contractuelle.

Il aurait occulté la consommation quasi-intégrale du budget à la veille de la signature du contrat puis remis en cause le caractère forfaitaire du prix et exigé une facture en régie pour couvrir la dérive du projet. La cause du contrat résidait dans l’obligation de fournir l’intégralité du système dans le cadre du montant convenu, or le prestataire savait le projet irréaliste et impossible dès réception du cahier des charges. Le prestataire aurait donc refusé délibérément d’informer le client de la situation dans le but d’obtenir la signature du contrat.

Le prestataire considère lui la rupture, qui ne respecte pas les dispositions contractuelles, comme abusive,  et demande le paiement des factures et réparation au titre du temps passé et perdu, du manque à gagner et de son préjudice d’image pour environ 6M€. En tout état de cause, la clause contractuelle limitative de responsabilité serait applicable.

Pour le prestataire, le client a failli à plusieurs de ses obligations dont certaines sont essentielles et conditionnent le forfait, telles que la modification incessante du périmètre fonctionnel. Le client a refusé de prendre en charge une quelconque part du dépassement budgétaire pour sauver le projet. Il y aurait absence de dol, le client ayant, avant la signature du contrat, les moyens de connaitre les difficultés de mise en œuvre et les risques. Il n’avait en outre pas obligation de communiquer les temps passés dans le cadre d’un forfait.

Le Tribunal va rappeler la définition de la réticence dolosive « silence d’une partie dissimulant à son cocontractant, avec pour objectif de provoquer une erreur de nature à vicier son consentement, un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter » et va retenir qu’en l’espèce, le prestataire avait consommé la quasi-intégralité du budget le jour de la signature du contrat. La décision prise de ne pas informer le client, alors qu’il connaissait la nécessité de la sortie future du cadre forfaitaire contractuel, ne relève pas seulement d’un manquement à l’obligation de conseil et d’alerte du prestataire informatique vis-à-vis de son client mais est constitutif de réticence dolosive.

Le Tribunal prononce l’annulation du contrat aux torts du prestataire ce qui entraine son anéantissement rétroactif et la remise des parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement. Le prestataire est donc débouté de sa demande de paiement des factures et condamné à rembourser les montants versés (1,65M€).

Sur les dommages et intérêts, le Tribunal rejette l’argument du client selon lequel le prestataire est irrecevable à se prévaloir de griefs à son encontre car non notifiés dans les formes du contrat : le contrat étant annulé, aucune clause ne survit. Le Tribunal écarte en conséquence également la clause limitative de responsabilité et considère que les dommages et intérêts ont pour fondement la responsabilité délictuelle.

Le Tribunal retient une part de responsabilité du client dans l’échec du projet définie par le rapport d’expertise, soit 25%, 75% étant imputables au prestataire. La responsabilité de l’AMOA est elle écartée.

Du préjudice du client retenu (2,1M€) est déduite la somme remboursée.

Le préjudice du prestataire est évalué à environ 1M€. Après application des pourcentages de responsabilité, le tribunal procède par compensation et condamne donc le prestataire à verser 133K€ au client, en sus du remboursement et de sommes dues en application de l’article 700.