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Rappel du principe de non-cumul des responsabilités civiles et pénales et de l’impossibilité d’indemniser deux fois un même préjudice

23 juillet 2019 | Derriennic Associés |

Cour de Cassation, Chambre criminelle, Arrêt du 26 juin 2019, Répertoire généra n°17-87.485

Le tribunal correctionnel, après avoir reconnu coupables d’actes de contrefaçon en bande organisée plusieurs individus qui avaient commercialisé des matelas présentés sous une marque contrefaite représentant la croix verte et le caducée pharmaceutique dont est titulaire le Conseil national de l’ordre des pharmaciens (ou « CNOP »), a également condamné le contrefacteur à verser à la partie civile la somme de 1 500 euros au titre du préjudice moral.

Le CNOP a alors fait appel du jugement pour le versant civil. La Cour d’appel a infirmé le jugement entrepris et condamné les contrefacteurs à payer au CNOP 35 000 euros au titre du préjudice moral sur le fondement de l’article L. 716-14 du Code de la propriété intellectuelle afférent à l’indemnisation en cas de contrefaçon de marque, notamment au titre du manque à gagner. En effet, même si la Cour a considéré que le manque à gagner n’était pas constitué en l’espèce, dans la mesure où le CNOP ne vendait pas d’articles de literie, elle retient que la vente de matelas de mauvaise qualité, associée aux marques du CNOP, a entraîné une importante dépréciation de ces marques associées par le public à la qualité des produits vendus en pharmacie et à la fiabilité des conseils prodigués par les pharmaciens, ce qui constitue un préjudice moral incluant la réparation de l’atteinte à l’image de ces marques.

En outre, la Cour d’appel a condamné le contrefacteur à verser au CNOP 10 000 euros au titre d’un « préjudice spécifique » sur le fondement de l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle afférent à l’indemnisation au titre de la reproduction d’une marque jouissant d’une certaine renommée. La Cour a considéré que la croix verte et le caducée pharmaceutique, connues dans toute la France et immédiatement associées dans l’esprit du public aux officines de pharmacies dont elles sont les emblèmes, sont des marques renommées qui, à ce titre, bénéficient d’une protection élargie. Aussi, leur exploitation sans droit a porté atteinte au caractère distinctif de ces marques et à leur renom, causant au CNOP un préjudice spécifique.

Or, la Cour de cassation vient rappeler que : « le préjudice résultant du délit de contrefaçon doit être réparé dans son intégralité » et « à sa juste mesure », « sans perte ni profit pour aucune des parties, en prenant en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l’atteinte ».

La Cour de cassation rappelle également que « s’agissant de la contrefaçon de marque, l’article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle vise l’ensemble des marques y compris celle jouissant de renommée, tout comme l’article L. 713-5 du même code, de sorte qu’il ne peut être alloué qu’une seule indemnisation sur le fondement de ces deux articles ».

Partant, la Cour de cassation ne suit donc par le raisonnement de la Cour d’appel, qui n’a, en tout premier lieu, pas respecté le principe de non-cumul de la responsabilité pénale et civile « alors que d’une part, la responsabilité du prévenu, condamné du chef de contrefaçon aggravée au préjudice du CNOP, ayant été reconnue, l’article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle est seul applicable pour fixer les dommages et intérêts dus à la partie civile », à l’exclusion donc d’une condamnation supplémentaire au titre de la responsabilité civile du contrefacteur sur le fondement de l’article L 713-5 du CPI.

Ensuite, la Haute juridiction épingle la Cour d’appel qui a indemnisé deux fois le CNOP du même préjudice : « la dépréciation et la banalisation de la marque constituent des préjudices résultant de l’atteinte portée à sa renommée et à son caractère distinctif et ne peuvent être indemnisés deux fois, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés».