
Un éditeur de logiciel peut-il agir en contrefaçon tout en demandant des dommages et intérêts pour violation du contrat de licences ?
Devant le Tribunal Judiciaire de Lyon 12 novembre 2024 N° 19/02639, une société éditrice de logiciels, revendiquant des droits d’auteur sur un logiciel de gestion de caisses de paiement, reprochait à son cocontractant et licencié des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale. Elle alléguait notamment que cette dernière avait reproduit et distribué son logiciel sans autorisation et avait favorisé son utilisation frauduleuse. BOS MONETIQUE, en tant que licencié, contestait ces accusations, invoquant le principe de non-cumul des responsabilités.
Le non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles
Il s’agissait ici de savoir si un éditeur de logiciel pouvait agir en contrefaçon devant le Tribunal Judiciaire alors que les parties étaient liées par un contrat et donc soumises au régime de la responsabilité contractuelle.
En l’espèce, le tribunal de Lyon, dans les motifs de sa décision, a rappelé que ce principe interdit de combinerresponsabilité contractuelle et délictuelle lorsque le préjudice allégué découle de l’inexécution d’obligations contractuelles.
Toutefois, le Tribunal souligne que des actes portant atteinte à des droits de propriété intellectuelle, comme la contrefaçon, relèvent d’un régime distinct. En s’appuyant sur les directives européennes 2004/48/CE et 2009/24/CE et dans la lignée de l’arrêt de la CJUE du 18 décembre 2019, C-666/18 (IT Development contre Free), le tribunal a cependant estimé que l’action en contrefaçon était ici recevable, permettant au titulaire de droits de bénéficier de mesures spécifiques telles que des dommages-intérêts élevés et des saisies-contrefaçon. Le Tribunal de Lyon a précisé, pour ce qui concerne la détermination des dommages et intérêts que : « En effet si selon l’article 1231-1 du code civil le débiteur peut, en cas d’inexécution de ses obligations nées du contrat, être condamné à des dommages-intérêts, ceux-ci ne peuvent excéder ce qui était prévisible ou ce que les parties ont prévu conventionnellement. »
La recevabilité de l’action en contrefaçon
L’action en contrefaçon est donc recevable dans le cadre d’une relation contractuelle et des dommages et intérêts peuvent être demandés pour violation du contrat.
Le tribunal a finalement conclu que BOS MONETIQUE (Licencié) avait commis des actes de contrefaçon en reproduisant le logiciel CLYO SYSTEMS sur plusieurs postes de travail sans droit suffisant. La société a été condamnée à verser 25 000 € de dommages-intérêts et à cesser la reproduction du logiciel sous astreinte. En revanche, les demandes fondées sur l’utilisation frauduleuse du logiciel et la concurrence déloyale ont été rejetées, faute de preuve suffisante.
Cette décision illustre l’incursion de la protection des droits de propriété intellectuelle et donc des actions en contrefaçon sur le terrain de la responsabilité contractuelle. Ce jugement vient confirmer un arrêt de la Cour de Cassation du 5 octobre 2022 ainsi qu’un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris du 8 décembre 2023 (n°21/19696). Une action en contrefaçon, donc délictuelle par nature, est recevable devant le tribunal judiciaire alors même que les parties sont liées par un contrat dont les termes ont été violé par licencié.
Encore une fois, l’action en contrefaçon peut reposer tant sur le fondement de la responsabilité contractuelle, que délictuelle !