
La 34ème chambre du Tribunal judiciaire de Paris, celle spécialisée sur tous les contentieux de la RSE, vient de condamner, ce 23 octobre 2025, TotalEnergies pour pratiques commerciales trompeuses en raison des allégations environnementales que constituaient les messages « neutralité carbone d’ici 2050 » et « acteur majeur de la transition énergétique » publiés sur son site commercial (TJ Paris, 23 oct. 2025, n°22/02955). Entre retrait de la page, publication de la décision et dommages-intérêts, la décision mérite l’analyse et appelle à la réflexion, notamment stratégique, sur le positionnement à venir des entreprises en matière de RSE.
Faits et cadre : le rebranding, les promesses climat et pages à destination commerciale
En 2021, TotalEnergies change de nom et déploie une campagne multi‑supports. Trois ONG (Greenpeace, Les Amis de la Terre, Notre Affaire à Tous) ciblent plusieurs contenus, dont trois communications diffusées sur le site commercial de l’entreprise : pages « Total Direct Energie devient TotalEnergies », « Les 5 bonnes raisons de nous choisir » et « Notre démarche développement durable ». Ces pages associent « ambition de neutralité carbone 2050 » et « acteur majeur de la transition énergétique » à l’argumentaire pour choisir l’offre.
Pour apprécier ce qui relève ou non de l’allégation environnementale sanctionnée par le code de la consommation, le Tribunal distingue la communication institutionnelle (site corporate .com, réseaux, rapports climat) de la publicité. Ainsi, seules les pages en relation directe avec la promotion ou la vente entrent dans le champ des pratiques commerciales pouvant être sanctionnées.
Solution : « ambition » perçue comme engagement et omission d’informations analysée comme tromperie
Sur les pages commerciales, l’allégation « neutralité carbone d’ici 2050 » et la promesse d’être « acteur majeur de la transition énergétique » constituent des allégations environnementales car, utilisées comme argument de vente, elles sont de nature à induire en erreur le consommateur sur la portée des engagements environnementaux du Groupe.
Le juge apprécie la portée des communications litigieuses à l’aune du consommateur moyen, c’est-à-dire celui normalement attentif et avisé dont le choix, s’il demeure guidé par le prix, intègre de plus en plus les qualités environnementales du produit ou du service ; ce d’autant que la notion de neutralité carbone évoquée ici faisait, sans ambiguïté, écho au concept scientifique de neutralité carbone à l’échelle planétaire connu dans le contexte des objectifs globaux souscrits par les Etats, au sens de l’Accord de Paris, appuyés sur les travaux du GIEC.
Une fois les notions clarifiées par rapport aux termes employés, le Tribunal vient apprécier le caractère trompeur des messages en relevant que ceux-ci pouvaient suggérer au consommateur que choisir l’offre contribue à une trajectoire alignée sur la neutralité 2050, sans préciser le scénario propre du groupe (poursuite de projets fossiles), à rebours des référentiels scientifiques évoqués.
Le Tribunal rappelle que plusieurs travaux (GIEC, Accord de Paris, rapport de l’AIE et du PNUE) indiquent que des réductions rapides et profondes des émissions de gaz à effet de serre supposent une diminution de la consommation mondiale de combustions fossiles, dont l’arrêt immédiat de tout investissement dans de nouveaux champs pétroliers et gaziers au-delà des projets déjà engagés en 2021. Une finalité que la publicité n’explicite pas et qui se trouve même contredite par le scénario du Groupe.
En pratique, le tribunal calque son analyse sur le cadre européen : les allégations de performances environnementales futures doivent reposer sur des engagements clairs, publics, vérifiables et un plan de mise en œuvre, faute de quoi celles-ci risquent d’être jugées trompeuses.
Portée : des sanctions ciblées mais une reconnaissance conforme au mouvement jurisprudentiel
La condamnation, par la chambre spécialisée du Tribunal judiciaire de Paris, ajoute à l’édifice aujourd’hui grandissant des décisions rendues en matière de RSE. Engagée à l’initiative d’associations de consommateurs et d’associations en faveur de l’environnement, ces actions auraient pu tout aussi bien être portées par des concurrents ou encore des salariés ou syndicats de l’entreprise.
En termes de sanction, les sociétés se voient enjoindre de retirer la page commerciale litigieuse dans le mois, sous astreinte 10 000 € par jours de retard pendant 180 jours. Le dispositif du jugement devra également être publié sur le site de l’entreprise. Les associations demanderesses, qui se voient allouer chacune 8 000 € de dommages-intérêts pour préjudice moral et 15 000 € d’article 700, sont en revanche déboutées de leur demande d’indemnisation au titre du préjudice écologique ainsi que pour manquement à l’obligation de vigilance générale et environnementale.
Cette décision doit inciter aujourd’hui les entreprises, peu important leur envergure, à soumettre à leur service juridique ou conseil toute formule commerciale qui pourrait porter sur leur engagement environnemental. Toute formule floue, trop engagée ou chiffrée doit sérieusement être pesée.