Le président du tribunal judiciaire de Paris se prononce à nouveau sur une demande de communication de données nominatives et d’identification d’auteurs de contenus susceptibles d’être constitutifs de harcèlement moral et de diffamation, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.
Quelques faits
Une personne ayant fait l’objet de nombreux tweets qu’il considère comme constitutifs de diffamation et de harcèlement moral, dépose plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris. En parallèle, il saisit une première fois le président du tribunal judiciaire de Paris afin que soit enjoint à Twitter de lui communiquer les données d’identification et de connexion (telles les adresses IP) de l’auteur des tweets litigieux. Il est fait droit à ses demandes le 15 mars 2024.
Face à l’impossibilité d’identifier l’auteur des tweets litigieux avec les seules adresses IP transmises, le demandeur saisit de nouveau la juridiction sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile. Il demande cette fois-ci au président judiciaire de Paris de condamner Free à lui communiquer les données personnelles de son client liées aux adresses IP transmises par Twitter.
L’obligation pour les opérateurs de communications électroniques de conserver les données de leurs utilisateurs
Conformément à l’article 34-1, II bis du Code des postes et des communications électroniques, les opérateurs de communications électroniques (FAI, fournisseurs de réseaux sociaux…) sont tenus de conserver pour une durée limitée, définie par ce texte, un certain nombre de données d’identification pour « les besoins des procédures pénales et la prévention des menaces contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale », « de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale ».
La mise balance des intérêts en présence
Afin d’apprécier le caractère légalement admissible d’une mesure de communication de données d’identification des abonnées, il doit être regardé si « les conditions d’ouverture et d’utilisation [des] comptes [des abonnées] [sont] pénalement répréhensibles si les faits devraient être considérés comme constitués, et qu’une telle mesure [est] légitime et proportionnée au but poursuivi ».
Le Président du tribunal judiciaire de Paris considère tout d’abord qu’il est légalement admissible et légitime de permettre à l’intéressé d’obtenir du FAI les données nominatives correspondants aux adresses IP obtenues auprès de Twitter, afin d’exercer les actions envisagées. Afin d’apprécier si les mesures souhaitées sont proportionnées au but poursuivi, la juridiction procède à une mise balance des intérêts en présence à savoir :
- La préservation de sa réputation ;
- Le droit au respect de la vie privée.
En l’espèce, le président du tribunal judiciaire de Paris fait droit aux demandes et ordonne à la société Free de communiquer notamment des données d’identité, et les données nominatives et d’identification en sa possession, liées à une adresse IP obtenue préalablement auprès de Twitter le 15 mars 2024
Est-ce que le Président du tribunal judiciaire de Paris aurait également fait droit aux demandes de communication si seuls des faits susceptibles d’être constitutifs de diffamation avaient été poursuivis par le demandeur ? On peut en douter. En effet, la diffamation « simple » (qui ne revêt aucun caractère discriminatoire), visée par l’article 32 alinéa 1 de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans la mesure ou cette infraction n’est pas sanctionnée par une peine de prison, ne semble pas pouvoir être considérée comme relevant de la criminalité et la délinquance grave au sens de l’article 34-1, II bis du Code des postes et des communications électroniques.
Cette circonstance rappelle les difficultés importantes qui se posent aux victimes de faits (i) non constitutifs de criminalité et de délinquance grave (diffamation et injure sans caractère discriminatoire…) ou (ii) pouvant seulement être poursuivis devant le juge civil (atteinte à la vie privée ou à l’image, à la présomption d’innocence…) pour obtenir réparation de leur préjudice lorsque l’auteur des contenus est anonyme.
A cet égard, une proposition de loi a été déposée le 7 mars 2023, visant à permettre l’obtention des données de comptes anonymes en ligne auprès des hébergeurs de contenus ou des opérateurs de communications électroniques dans le cadre de procédures civiles. La proposition de loi tend à faire modifier l’article L.34-1 du code des postes et des communications électroniques afin que les procédures civiles soient également visées par le texte.
La communication de données identifiantes ne devrait pas non plus être possible lorsqu’aucune infraction de la part de l’auteur des propos litigieux ne semble caractérisée. Dans un jugement du tribunal judiciaire de Paris du 20 septembre 2024 (RG n°24/5419), la société La Tarte Tropézienne et son gérant se sont vu débouter de leurs demandes visant à l’obtention auprès de META de données d’identification d’un auteur de propos publiés sur la plateforme Facebook. Plusieurs fondements, dont certains non susceptibles de condamnation pénale, avaient été invoqués pour justifier la demande communication (violation de ses données personnelles, atteinte au droit à l’image, usurpation d’identité et diffamation). Le président du tribunal judiciaire de Paris écarte tous ces fondements, notamment pour manque de précision dans les faits reprochés, ou pour absence de caractérisation.
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Source : Tribunal judiciaire de Paris, ord. réf., 25 juin 2024, n°24/53422