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En matière de développement de logiciel, quelle est la juridiction européenne territorialement compétente ? 

12 mars 2025 | Derriennic Associés |

En matière de développement de logiciel, quelle est la juridiction européenne territorialement compétente ? 

CJUE, 28 novembre 2024 – C‑526/23 

Dans le cadre d’une action en matière contractuelle en UE, s’agissant du développement et de l’exploitation régulière d’un logiciel destiné à répondre aux besoins individuels d’un client, le « lieu d’exécution » qui détermine la compétence territoriale en l’absence de disposition contractuelle, correspond-il au lieu où est fourni le travail de création et de conception et de programmation du logiciel ou au lieu où le client accède au logiciel, c’est-à-dire consulte et utilise celui-ci ?

Un litige transfrontalier sans clause attributive de compétence

Une société prestataire informatique établie en Autriche conclut avec un client allemand un contrat de développement et de l’exploitation d’un logiciel destiné à être utilisé en ligne. Un différend nait entre les parties, le client faisant état de non-conformité réglementaire du logiciel et refusant de régler. Les parties n’étaient pas contractuellement convenues d’une juridiction compétente en cas de litige et l’éditeur l’assigne en paiement devant les juridictions autrichiennes (lieu des prestations de développement), dont la compétence est contestée par le client.

Le tribunal autrichien saisi en première instance décline sa compétence en relevant que le lieu d’exécution du contrat en cause se situait au siège du client. La juridiction d’appel a confirmé cette décision en estimant que les services qui ne sont pas fournis à un endroit fixe sont réputés être fournis à l’endroit où le bénéficiaire de ces services y a accès (en l’occurrence, en Allemagne).

La question préjudicielle de compétence territoriale : comment interpréter l’article 7 du règlement Bruxelles I bis ?

Saisie d’un recours contre cette décision de la juridiction d’appel, la juridiction de renvoi se pose la question de savoir si, aux fins de la détermination du lieu d’exécution en cas de services à distance, le lieu déterminant est celui où le prestataire du service concerné a réalisé le travail de création, ou bien celui où ce service a été fourni et où le bénéficiaire de celui-ci y a eu accès.

Dans ces circonstances, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’article 7, point 1, sous b), du règlement 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit « Bruxelles I bis ») qui détermine la compétence judiciaire dans le cadre de litiges transfrontaliers entre les Etats membres de l’UE.

Pour déterminer le lieu d’exécution d’un contrat de développement d’un logiciel, il faut identifier l’obligation caractéristique du contrat

La CJUE rappelle les considérants 15 et 16 du règlement no 1215/2012 et ses articles 4 §1 et 7.

L’article 4 de ce règlement pose le principe de compétence du domicile du défendeur.

L’article 7 prévoit qu’en matière qu’en matière contractuelle, c’est la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui est compétente. Ce lieu, sauf convention contraire, étant, pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, « les services ont été ou auraient dû être fournis ».

La Cour précise qu’en cas de pluralité d’obligations contractuelles, il y a lieu de déterminer l’obligation caractéristique du contrat concerné (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2017, Kareda, C‑249/16, EU:C:2017:472 point 40) et va donc s’interroger sur ce qu’est l’obligation caractéristique d’un contrat de fourniture d’un logiciel.

L’obligation caractéristique du contrat de développement d’un logiciel n’est pas son développement mais sa mise à disposition du client 

La Cour considère que la conception et la programmation d’un logiciel ne constituent pas l’obligation caractéristique, dès lors que le service faisant l’objet de celui-ci n’est pas fourni effectivement au client concerné tant que ce logiciel n’est pas opérationnel. En effet, ce n’est qu’à partir de ce moment, auquel ledit logiciel est susceptible d’être utilisé et auquel sa qualité peut être contrôlée, que ce service sera fourni effectivement.

Pour la Cour, l’obligation caractéristique d’un contrat de fourniture en ligne d’un logiciel consiste à le mettre à la disposition du client concerné, le lieu d’exécution de ce contrat doit donc être considéré comme étant celui où ce client accède à ce logiciel, à savoir celui où il consulte et utilise celui-ci.

Lorsque ledit logiciel est appelé à être utilisé à des endroits différents, il importe de préciser que ce lieu se situe au domicile dudit client (siège de la société).

Par conséquent, l’article 7, point 1, sous b), second tiret, du règlement n°1215/2012 doit être interprété en ce sens que le « lieu d’exécution » d’un contrat ayant pour objet le développement et l’exploitation suivie d’un logiciel destiné à répondre aux besoins d’un client établi dans un État membre autre que celui dans lequel la société ayant créé, conçu et programmé ce logiciel est établie est le lieu où ce client accède audit logiciel, c’est-à-dire consulte et utilise celui-ci.