
La Cour de cassation invalide le raisonnement de la Cour d’appel de Paris qui avait refusé d’ordonner le retrait de vidéos diffamatoires et injurieuses publiées sur YouTube, faute de tout débat contradictoire possible avec leur auteur, demeuré non identifiable. Pour la Haute juridiction, les juges du fond auraient dû rechercher si la suppression des contenus n’était pas proportionnée à l’atteinte subie (Cass. 26 février 2025, n° 23-16.762).
L’impossibilité d’identifier les auteurs des vidéos litigieuses
Des vidéos avaient été publiées sur une chaîne YouTube, dans lesquelles plusieurs personnalités locales étaient directement mises en cause pour des faits de corruption.
Considérant que ces vidéos contenaient des propos diffamatoires ou injurieux, les personnes visées avaient assigné Google Ireland Limited selon la procédure accélérée au fond prévue par l’article 6-I.8 de la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (« LCEN »), afin d’obtenir le retrait des vidéos et la communication des données d’identification du compte.
Le Tribunal judiciaire, comme la Cour d’appel de Paris, ont fait droit à la demande de communication de ces données mais ont rejeté la demande de suppression des vidéos. Les données recueillies n’ont pas permis d’identifier les auteurs des vidéos : les informations transmises à la plateforme lors de la création du compte étaient fictives, et les connexions intervenues via un VPN.
La seule allégation du caractère diffamatoire des propos ne justifie pas leur retrait
Tout d’abord, la Cour d’appel de Paris, approuvée sur ce point par la Cour de cassation, avait refusé d’ordonner la suppression des vidéos au seul motif de leur caractère diffamatoire prétendu, l’infraction pouvant être écartée dans certaines hypothèses qui découlent des justifications rapportées par leur auteur.
En effet, la Cour d’appel soulignait que l’action en diffamation suppose un débat contradictoire au cours duquel celui-ci peut faire valoir la preuve de leur vérité ou l’excuse de bonne foi. La Cour d’appel estimait qu’en l’absence de débat contradictoire possible avec l’auteur non identifié des propos, il n’était pas possible de retenir le caractère « manifestement illicite » des contenus et donc d’ordonner leur retrait.
Ce raisonnement rappelle un point essentiel : l’atteinte à la réputation ne suffit pas, à elle seule, à justifier le retrait d’un contenu.
Le juge ne peut donc, sur ce fondement seul, ordonner des mesures qui portent atteinte à la liberté d’expression, tels que le retrait d’un contenu ou le blocage d’une page.
Que faire si l’auteur des propos est impossible à identifier ?
La Cour de cassation considère toutefois que pour se prononcer, le juge doit prendre en considération l’impossibilité d’identifier leurs auteurs, et corrélativement de tout débat contradictoire.
Dans cette affaire en effet, les demandeurs avaient démontré que les informations fournies par Google n’avaient pas permis d’identifier les auteurs des propos. En outre, à la suite de leur plainte avec constitution de partie civile, un réquisitoire aux fins de non-lieu leur avait été notifié au motif que le ou les auteurs demeuraient inconnus.
La Cour de cassation casse alors l’arrêt d’appel et considère que les juges du fond auraient dû rechercher si, en raison de l’anonymat délibéré des auteurs, la suppression des propos n’était pas une mesure proportionnée au préjudice subi, en l’absence de débat contradictoire possible avec eux.
L’impossibilité d’un débat contradictoire n’empêche plus désormais la suppression de contenus diffamatoires ou injurieux, lorsque cette impossibilité est imputable à l’auteur et empêche toute défense effective de la victime.