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Focus sur le devoir de vigilance : un contentieux stratégique en pleine émergence

30 avril 2025 | Derriennic Associés |

Focus sur le devoir de vigilance : un contentieux stratégique en pleine émergence

Le devoir de vigilance : de la théorie à la jurisprudence

Le contentieux du devoir de vigilance, longtemps cantonné à la théorie et à la mise en demeure précontentieuse, connaît aujourd’hui un tournant stratégique. Entre assignations récentes, premières décisions des juridictions spécialisées mais aussi rapprochements amiables sur le sujet, la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre s’impose aujourd’hui comme une norme vivante. L’occasion pour nous de faire un focus sur les évolutions récentes qui redéfinissent les contours de la responsabilité sociétale des grandes entreprises.

Assignations, accords, déboutés : tour d’horizon des dernières décisions

CarrefourDanone et SNCF ont tous récemment été au cœur de l’actualité judiciaire.

Le 17 mars 2025, les associations Bloom et Foodwatch ont assigné Carrefour pour manquement à son devoir de vigilance dans la filière thonière. En cause : l’absence alléguée de mesures concrètes pour prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans un secteur à haut risque.

En parallèle, la 34e chambre du tribunal judiciaire de Paris, nouvellement compétente pour les contentieux en matière de RSE et de devoir de vigilance, a rendu un jugement très attendu le 13 février 2025. Dans l’affaire SNCF Fret, les syndicats CFDT et CGT ont été déboutés : les risques évoqués (sociaux et environnementaux) n’étaient pas suffisamment individualisés pour justifier une mise à jour du plan de vigilance. La responsabilité sociétale de l’entreprise est néanmoins reconnue, y compris dans le cadre de décisions imposées par l’État.

Autre approche intéressante : la voie amiable. Après avoir été assignée en janvier 2023 pour manquement à son plan de « déplastification », Danone vient de parvenir à une médiation avec plusieurs des ONG qui l’avaient assignée. L’entreprise s’est engagée à publier son empreinte plastique et à renforcer son plan de vigilance. Un précédent intéressant pour favoriser la mise en conformité sans aller au bout d’une procédure judiciaire.

De La Poste à TotalEnergies : une jurisprudence qui se structure

Le 5 décembre 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Paris (faute pour la juridiction de disposer alors d’une chambre spécialisée) avait rendu la toute première décision au fond sur le fondement du devoir de vigilance. La Poste avait ainsi été condamnée à revoir sa cartographie des risques et son dispositif d’alerte, jugés insuffisamment concertés avec l’ensemble des parties prenantes. La Poste ayant interjeté appel de la décision, la Cour d’appel doit rendre sa décision le 17 juin 2025, ce qui ne manquera pas d’ajouter à l’édifice jurisprudentiel naissant de ce contentieux.

Mais c’est encore par ses trois arrêts du 18 juin 2024 que la cour d’appel de Paris a posé des jalons majeurs quant aux règles de procédure gouvernant la matière :

  • Elle assouplit les conditions de recevabilité : mise en demeure et assignation peuvent viser des versions différentes du plan de vigilance, dès lors que les griefs sont substantiellement similaires.
  • Elle clarifie la qualité à agir : les ONG sont légitimes, mais les collectivités doivent démontrer un impact local spécifique.
  • Elle confirme que seule la société-mère peut être tenue responsable du plan de vigilance publié.
  • Elle valide le cumul d’actions fondées sur le devoir de vigilance et sur le préjudice écologique (C. civ., art. 1247 à 1252), tout en encadrant les mesures provisoiresenvisageables.

Ces décisions marquent une avancée décisive vers une juridictionnalisation pleine du devoir de vigilance.

Une structuration normative en cours de consolidation

La création des chambres spécialisées à Paris (la 34ème chambre pour le Tribunal judiciaire et la Chambre 5-12 pour la Cour d’appel) et les précisions apportées par la jurisprudence permettent aujourd’hui de dessiner des contours homogènes aux obligations de vigilance. 

Or, ces évolutions interviennent au moment même où la directive européenne CS3D se voit bousculée par la législation Omnibus annoncée le 26 février 2025 par la Commission européenne. Reste à voir quel sera son champ d’application final ainsi que son arsenal coercitif.

Conclusion : vers un standard européen du devoir de vigilance ?

Le devoir de vigilance a quitté le champ des bonnes intentions pour devenir un véritable levier de compliance juridique. Si la jurisprudence affine progressivement les exigences au regard de la loi française sur le devoir de vigilance (clarté des griefs, granularité des risques, autorité du plan, compétence juridictionnelle), les entreprises doivent désormais considérer ce dispositif comme une obligation à part entière, et non comme un exercice déclaratif.

Les années 2025-2026 verront-elles l’émergence d’un standard européen du devoir de vigilance, à la croisée du droit des affaires, de l’environnement et des droits humains ?

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