
Par un arrêt du 19 décembre 2024 (C-157/23, Ford Italia), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé la notion de « producteur » au sens de la directive 85/374/CEE relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Elle a jugé que le fournisseur d’un produit défectueux peut être tenu responsable même s’il n’a pas matériellement apposé son nom ou sa marque sur le produit, dès lors que le nom de ce fournisseur coïncide avec la marque du fabricant et qu’il a exploité cette coïncidence pour se présenter implicitement comme responsable de la qualité du produit.
L’affaire Ford Italia : de la vente d’un véhicule à la responsabilité du fournisseur
Le 4 juillet 2001, un consommateur a acheté un véhicule Ford auprès du concessionnaire Stracciari SpA, en Italie. Ce véhicule a été fabriqué par Ford WAG (Allemagne) et distribué en Italie par Ford Italia SpA.
Le 27 décembre 2001, le consommateur a été victime d’un accident de la route. Lors du choc, l’airbag du véhicule ne s’est pas déclenché, entraînant des blessures qu’il a imputées à un défaut du produit.
Le consommateur a engagé une action contre Stracciari SpA (le concessionnaire) et Ford Italia (le fournisseur), en réparation du préjudice subi.
Ford Italia conteste sa responsabilité, arguant qu’elle n’a pas fabriqué le véhicule et ne peut être considérée comme son producteur. Elle souligne que Ford WAG est clairement identifié comme le fabricant sur la facture et que, conformément à l’article 3§3 de la directive 85/374, seul le véritable producteur peut être tenu responsable.
La Corte Suprema di Cassazione (Cour de cassation italienne) a saisi la CJUE pour trancher la question préjudicielle suivante :
L’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374 s’oppose-t-il à l’interprétation qui étend au fournisseur la responsabilité du producteur, même si le fournisseur n’a pas matériellement apposé sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif, pour la seule raison que le nom, la marque ou un autre signe distinctif du fournisseur coïncide en tout ou en partie avec ceux du producteur ?
L’interprétation de la CJUE : une responsabilité élargie du fournisseur
La notion de « producteur » en droit de l’Union européenne
L’article 3§1 de la directive 85/374 définit le « producteur » comme :
- Le fabricant d’un produit fini,
- Le producteur d’une matière première,
- Le fabricant d’une partie composante,
- Toute personne qui se présente comme producteur en apposant son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif sur le produit.
La CJUE a rappelé que l’objectif de cette directive est de protéger le consommateur en facilitant son recours contre toute personne impliquée dans la mise sur le marché d’un produit défectueux.
Une interprétation large de « l’apposition de marque »
Ford Italia soutenait qu’elle ne pouvait être considérée comme producteur car elle n’avait pas matériellement ajouté son nom ou sa marque sur les véhicules Ford.
Cependant, la CJUE a adopté une lecture extensive de la notion de producteur :
- L’apposition matérielle du nom ou du logo sur un produit n’est pas la seule condition pour être qualifié de producteur.
- Un fournisseur dont le nom ou un élément distinctif coïncide avec la marque apposée par le fabricant peut être considéré comme se présentant comme producteur.
- Ce fournisseur suscite, par cette coïncidence, une confiance chez le consommateur comparable à celle qui existerait si le produit était vendu directement par le producteur.
Ford Italia s’est-elle présentée comme producteur ?
La CJUE a considéré que Ford Italia avait :
- Utilisé la marque Ford, qui figure à la fois dans sa propre dénomination sociale et sur le produit.
- Distribué les véhicules sous cette marque, donnant au consommateur une impression de responsabilité.
- Bénéficié de la réputation et de la notoriété de la marque Ford pour assurer la commercialisation des véhicules en Italie.
Ainsi, bien que Ford Italia n’ait pas directement fabriqué les véhicules, elle a exploité cette coïncidence de noms pour se présenter comme responsable de la qualité du produit.
La CJUE en a conclu que Ford Italia devait être assimilée à un producteur, et pouvait donc être tenue pour responsable des défauts du véhicule.
Une protection renforcée pour le consommateur
Cette décision a précisé la notion de « producteur » en incluant les fournisseurs dont le nom coïncide avec la marque du produit, dès lors qu’ils participent à la commercialisation et profitent de la notoriété de cette marque, sans être les fabricants directs.
Les entreprises étrangères qui vendent en Europe via des distributeurs devront être particulièrement vigilantes. Si leur distributeur utilise une marque identique ou similaire, il pourrait être considéré comme producteur et voir sa responsabilité engagée.
La CJUE rappelle que le consommateur ne doit pas être contraint d’identifier le véritable producteur. Il peut choisir d’assigner directement le fournisseur qui lui a vendu le produit, sans devoir prouver qui est le fabricant réel.
Cet arrêt est d’importance en matière de droit de la responsabilité du fait des produits défectueux. Un fournisseur peut être tenu pour responsable, même s’il n’a pas apposé sa marque sur le produit, dès lors que son nom coïncide avec la marque du producteur et qu’il profite de cette coïncidence pour se présenter comme responsable du produit.