CONTACT

Givenchy est condamnée pour acte de concurrence déloyale et parasitisme économique d’une œuvre réalisée par un artiste de street art

28 juin 2024 | Derriennic Associés |

Dans une décision du 27 mars 2024 (n°21/04132), le Tribunal judiciaire de Paris ne retient pas la contrefaçon et l’atteinte au droit moral de l’auteur invoqués par l’artiste de street art (i) mais condamne Givenchy pour acte de concurrence déloyale et parasitisme économique à payer à l’auteur de street art 30.000 euros à titre de dommages et intérêts (ii).

“Zevs”, pseudonyme d’un artiste plasticien appartenant au mouvement street art, constate, en juillet 2020, que la société Givenchy (Groupe LVMH) proposait à la vente, sur son site internet, un tee-shirt représentant la marque verbale “Givenchy” et dont il estime qu’il reprend les caractéristiques originales de son œuvre “liquidated google”. [1]

Il met en demeure, par l’intermédiaire de son Conseil, la société Givenchy le 27 août 2020, de retirer le produit litigieux de la vente.

Dans un courrier du 18 septembre 2020, Givenchy refuse de faire droit à ses réclamations.

Le 11 mars 2021, Zevs fait assigner la société Givenchy, en contrefaçon de droit d’auteur, et à titre subsidiaire, en concurrence déloyale et parasitaire.

Pour le Tribunal judiciaire de Paris, la combinaison des caractéristiques originales de l’œuvre ne sont pas reproduites par les vêtements litigieux produits par la société Givenchy, de sorte que la contrefaçon et l’atteinte au droit moral de l’auteur ne sont pas caractérisées

D’une part, la société Givenchy arguait tout d’abord du fait que le demandeur à l’action ne démontrait pas être l’auteur des œuvres dont il revendique la protection, notamment en raison de l’utilisation d’un pseudonyme pour leurs divulgations.

En effet, au sens de l’article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle, la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui sous le nom de qui l’œuvre est divulguée. Cette qualité d’auteur est une condition du bien-fondé de l’action en contrefaçon de droit d’auteur, et non la condition de sa recevabilité, comme le précise le Tribunal judiciaire de Paris.

Dès lors, les pièces produites par Zevs (attestation sur l’honneur d’un directeur d’une galerie d’art newyorkaise qui a exposé l’œuvre “Liquidated google”, mail et facture de la vente de l’œuvre) suffisent, selon le Tribunal, à considérer que l’auteur de l’œuvre est suffisamment identifié et ce, même si l’œuvre a été divulguée sous le pseudonyme “Zevs” de l’auteur.

D’autre part, Givenchy prétend que l’artiste entend revendiquer un monopole sur une idée, non protégeable, consistant à faire “dégouliner des formes”.

L’auteur exposait quant à lui que l’originalité de sa création “Liquitated Google” résulte de la combinaison des caractéristiques suivantes : “il faut dégouliner chaque lettre du signe Google ; des coulures qui s’écoulent de la partie supérieure chaque lettre, de la même couleur que la lettre, et glissent dans le sens de la gravité ; coulures irrégulières qui ne se touchent pas être elles, de longueurs différentes les unes des autres”.

Cet artiste indique ainsi créer “l’illusion que ce signe est en train de fondre, de saigner” “comme pour le vider de son sens ou de son pouvoir”.

Le Tribunal répond que l’auteur démontre l’existence de choix esthétiques, libres, arbitraires et que ses efforts créatifs traduisent l’empreinte de sa personnalité. Dès lors, il est fondé à revendiquer l’originalité de son œuvre, et sa protection par le droit d’auteur.

De plus, le Tribunal mentionne qu’il n’est pas contesté que la société GIVENCHY a commercialisé, entre le 2 février 2020 et le 21 octobre 2021, un tee-shirt, puis un sweat-shirt, qui étaient porteurs des lettres Givenchy, de différentes couleurs, chacune prolongée par des fils de mêmes couleurs que les lettres.

Néanmoins, le Tribunal précise que la combinaison des caractéristiques originales de l’œuvre ne sont pas reproduites par les vêtements litigieux, dans la mesure où le logo Google de la marque n’est pas celui de l’œuvre invoquée, la combinaison des couleurs (laquelle ne résulte pas d’un choix de l’artiste) est différente, et les vêtements ne présentent pas des “coulures” mais des broderies, dont toutes ne débutent pas à la partie supérieure de chaque lettre.

Dès lors, le Tribunal considère que la contrefaçon n’est pas établie ainsi qu’aucune atteinte au droit moral de l’auteur de l’œuvre.

Si la société Givenchy n’a pas reproduit exactement l’œuvre, elle s’est toutefois directement inspirée des créations de l’auteur de street art et le Tribunal considère alors que les faits de parasitisme et de concurrence déloyale invoqués sont caractérisés

S’agissant du parasitisme, le Tribunal admet que l’œuvre dispose d’une valeur économique qui est démontrée par les factures de vente des tableaux (2400 dollars pour la première vente, 15.000 pour la deuxième).

Il précise que la société qui, sans reproduire exactement l’œuvre, s’est directement inspirée des créations de l’auteur de Liquidated Google, s’est placée dans le sillage de cet auteur et a tiré indûment profit de sa notoriété.

S’agissant de la concurrence déloyale, la commercialisation par la société Givenchy des tee-shirt et sweat-shirt, est selon le Tribunal, de nature à créer pour le consommateur de produits de marque de luxe, une confusion avec celles-ci, “d’autant plus que les marques de luxe s’associent régulièrement pour leurs créations à divers artistes”.

La société Givenchy engage donc sa responsabilité, tant au titre du parasitisme, que de celui de la concurrence déloyale.

Le Tribunal judiciaire de Paris condamne ainsi la société Givenchy à payer à l’auteur de l’œuvre :

  • 30.000 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation des actes de parasitisme et de concurrence déloyale commis à son préjudice
  • 20.000 en application de l’article 700

Givenchy est également interdite d’offrir à la vente, sous quelque forme que ce soit, les tee-shirt et sweat-shirt litigieux, dans le délai d’un mois suivant la signification du jugement, puis sous astreinte provisoire de 500 euros par infraction constatée suivant ce délai.