Par un arrêt en date du 11 avril 2024, la Cour d’appel de Paris a statué sur l’incompétence du Tribunal judiciaire de Lyon dans un litige de contrefaçon de logiciel, sur la base d’un faisceau d’indices la conduisant à estimer que le site sur lequel le logiciel litigieux était, selon les demandeurs, téléchargeable, ne visait pas un public français.
Dans cette affaire, deux éditeurs américains et français ont assigné en contrefaçon et en concurrence déloyale, devant le Tribunal judiciaire de Lyon, des sociétés russes et allemandes.
Les demandeurs exposaient avoir conclu en 2013 avec les défendeurs un contrat de distribution de leur logiciel, mais que ces derniers avaient continué à le proposer au public après la résiliation, en 2019, dudit contrat.
Les défendeurs ont soulevés devant le juge de la mise en état l’incompétence du Tribunal judiciaire de Lyon en raison :
- de l’existence d’une clause compromissoire au contrat de distribution ;
- de l’absence d’acte de contrefaçon sur le territoire français ou en direction du public français.
Par ordonnance du 23 janvier 2023, le juge de la mise en état a rejeté les exceptions d’incompétence et déclaré le Tribunal judiciaire de Lyon compétent pour connaître de l’affaire.
Les sociétés allemandes et russes ont interjeté appel de cette ordonnance.
Sur la compétence matérielle
En réponse à l’invocation par les défendeurs d’une clause compromissoire au contrat, les demandeurs faisaient valoir que le litige ne portait pas sur des contestations nées de l’interprétation ou de l’exécution du contrat de distribution, mais sur des agissements de contrefaçon commis par les défendeurs.
La Cour d’appel confirme que non seulement les faits litigieux ne portent pas sur l’exécution au sens strict du contrat, mais qu’au surplus ils portent sur des agissements commis après la résiliation du contrat, de sorte que l’exception d’incompétence est inopérante.
Sur la compétence territoriale
Les défendeurs faisaient valoir qu’il n’y avait pas de lien de rattachement suffisant entre l’acte dommageable et le territoire français. En effet, le logiciel était accessible sur leur site internet allemand et était stocké sur un serveur allemand. Le seul acte commis en France est le téléchargement par le public français, entrainant l’import du logiciel vers la France.
Les demandeurs invoquaient le fait que le site visait le public français, était en « .fr », rédigé en langue française, et permettait un téléchargement au public français.
La Cour d’appel de Lyon rappelait d’abord que :
- selon l’article 46 du code de procédure civile, le demandeur dispose d’une option pour saisir le lieu où le dommage a été subi ;
- le Règlement (UE) n° 1215/2012 énonce qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre devant la juridiction du lieu ou le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ;
- en matière de contrefaçon, la victime peut exercer son action devant la juridiction de l’Etat dans lequel l’objet de la contrefaçon est diffusé.
En pratique, la Cour constate que le procès-verbal d’huissier fourni par les demandeurs montre simplement l’existence d’un site internet décliné lui-même en plusieurs sous-sites, décrivant les caractéristiques et les fonctionnalités du logiciel, accessible à l’internaute français, ainsi qu’une marche à suivre pour télécharger une version gratuite du logiciel, permettant de le tester.
Elle relevait néanmoins, que le constat n’établissait pas qu’il soit possible de télécharger le logiciel litigieux.
Un autre procès-verbal d’huissier, produit par les défendeurs, montrait que ce site contenait aussi de nombreuses pages en anglais et en russe, incompréhensibles pour un français et qui contredisent l’idée que le logiciel argué de contrefaçon vise le public français.
Sur la base de ces éléments, la Cour concluait qu’il n’était pas établi que le dommage invoqué par les demandeurs soit situé sur le territoire français et a donc déclaré le Tribunal judiciaire de Lyon incompétent.