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Le manquement à l’obligation d’information étendue du prestataire IT sanctionné par la nullité du contrat

11 décembre 2024 | Derriennic Associés |

La nullité du contrat pour erreur est justifiée lorsque le prestataire informatique manque à son obligation d’information à l’égard du client profane, qui pouvait légitiment lui faire confiance, conduisant ce dernier, de manière complètement excusable, à se méprendre sur la possibilité pour la solution logicielle à répondre aux besoins exprimés.

Une société qui installe des équipements thermiques recherche un outil de gestion commerciale et comptable et de Customer Relationship Management (CRM). Elle contractualise avec un prestataire informatique pour un achat de licences logicielles et des prestations d’analyse et rédaction de projets, installation, paramétrages et formation. 

Le prestataire fait état de difficultés pour implanter ses logiciels, évoquant des process spécifiques au client qui nécessiteraient des paramétrages et/ou des développements spécifiques, et propose au client, soit de renoncer à la mise en place des fonctionnalités, soit de payer la réalisation d’un applicatif spécifique, ce qu’il refusera.

Le prestataire assigne son client en paiement, demande accueillie par le tribunal de commerce de Lille Métropole. Le client interjette appel, sollicitant la nullité du contrat de concession de licence et du contrat d’entreprise pour vice du consentement.

De l’importance de la rédaction de la proposition commerciale

Pour le client, la proposition commerciale globale devait comprendre l’installation de deux progiciels et les paramétrages standards etspécifiques. Il estime que le prestataire était tenu à une obligation d’information et de conseil et aurait dû l’informer, avant la conclusion du contrat, de l’éventualité qu’elle aurait de devoir faire réaliser un applicatif spécifique et considère que s’il avait eu connaissance de ce que les prestations souscrites ne seraient pas suffisantes pour obtenir la solution attendue, il n’aurait pas conclu.

Le prestataire fait valoir que le contrat conclu prévoyait clairement deux phases d’intervention : la mise en place d’une solution informatique avec paramétrages couvrant les besoins « de base » exprimés par le client (phase couverte par le budget) et un audit ayant pour but d’identifier d’éventuels développements spécifiques pour s’adapter aux besoins réels du client, le prestataire relevant l’absence de cahier des charges du client. Il précise que les logiciels ont été parfaitement installés, ils étaient en parfait état de fonctionnement et certains clients se contentent des prestations de base.

Une jurisprudence établie sur l’obligation d’information du prestataire IT

La cour rappelle qu’afin de permettre de donner un consentement éclairé, la jurisprudence a imposé un devoir de conseil pesant sur le fournisseur d’un produit complexe, et cela vaut tout spécialement en matière d’informatique (Cass., Com., 11 juillet 2006, pourvoi no 04-17.093). 

Ce devoir de conseil consiste à rechercher une solution qui soit adaptée aux besoins du client et à le mettre en garde contre les difficultés que présente l’implantation et l’exploitation d’un équipement présentant une certaine complexité (Cass, com., 20 juin 2018, n° 17-14.742). 

Ce devoir connaît des limites à savoir la compétence suffisante de l’acquéreur et a un corolaire l’obligation pour ce dernier de collaboration. Le client doit ainsi fournir les éléments nécessaires pour apprécier ses besoins et notamment procéder à la réalisation d’un cahier des charges. La jurisprudence a également pu rappeler que le devoir de conseil du fournisseur en informatique se limite à une obligation de moyen, les manquements éventuels du fournisseur devant s’apprécier en fonction des besoins et des objectifs définis par son client (Cass., Com. 14 mars 1989, Bull n°89).

En l’espèce : un client profane « pas habile en matière informatique » insuffisamment informé

La cour analyse :

  • les échanges avant-vente : les négociations contractuelles ont été menées très rapidement, voire dans la précipitation, sous la pression du prestataire ; la question tarifaire était un élément central et le prestataire avait connaissance des impératifs budgétaires. Aucun élément ne laissait à penser que la prestation commandée était susceptible de nécessiter des prestations complémentaires en sus du budget convenu ;
  • la proposition commerciale : elle précisait certes que le chiffrage n’était pas engageant en l’absence d’analyse préalable, mais le client, toute petite société, « qui n’était pas habile en matière informatique », a pu légitimement comprendre que des paramétrages spécifiques étaient compris.

L’obligation d’information du professionnel informatique étendue à ce que le client a pu « légitimement comprendre »

Le débat n’est pas tant de savoir si, à la suite de l’analyse, des prestations complémentaires pouvaient s’avérer nécessaires et si le client avait été informé de ce fait, que de déterminer si légitimement le client a pu comprendre du document et des échanges entre les parties, qu’il allait obtenir un outil répondant à l’ensemble des besoins exprimés.

Pour les juges, dans le domaine de la mise en place de logiciels et de solutions informatiques, le prestataire est un professionnel qui maîtrise une technologie spécifique, échappant aux domaines de compétence du client.

Le prestataire, en sa qualité de professionnel de l’informatique, qui a mis en exergue son expertise, est tenu d’une obligation d’information à l’égard de son client profane qui pouvait légitimement lui faire confiance et attendre une appréhension fine de ses besoins, pour lui donner toutes les informations nécessaires sur la qualité et les caractéristiques du bien ou service proposé, en attirant son attention sur les risques et difficultés pouvant naître de l’installation, et, préalablement à l’acceptation de la proposition, sur l’absence de réponse de base au besoin exprimé, et qui était pour elle essentiel, compte tenu de l’objectif recherché.

L’absence de cahier des charges ne dédouane pas systématiquement le prestataire de son obligation d’informer

L’absence de cahier des charges ne peut être exploitée par le prestataire pour échapper à son obligation, en sa qualité de professionnel, d’informer le client profane en la matière, sur la nécessité de cerner les besoins ou fonctionnements spécifiques à l’entreprise, pour adapter le bien proposé et déterminer les caractéristiques du bien et de la prestation à fournir.

A tout le moins, il appartenait le cas échéant au prestataire, s’il se jugeait insuffisamment informé, d’émettre des réserves ou d’inviter le client profane en la matière à préciser ses besoins, ce qu’il n’a manifestement pas fait, cherchant, au contraire, à obtenir le plus rapidement possible la commande.

La nullité du contrat pour erreur

La cour, au visa des articles 1103, 1104, 1112-1, 1130 et 1132 du code civil va juger que le prestataire a manqué à son obligation d’information à l’égard du client profane, sur un point déterminant de son consentement, conduisant ce dernier, de manière complètement excusable, à se méprendre sur la possibilité pour l’installation commandée à répondre aux besoins exprimés. Cette erreur déterminante a vicié son consentement, ce qui justifie qu’il soit fait droit à la demande d’annulation du contrat litigieux.

Compte tenu de l’annulation du contrat, seront ordonnées les restitutions réciproques.

Cependant, concernant la demande de dommages et intérêts du client, aucun élément ne venant établir les préjudices invoqués, la demande d’indemnisation est, elle, rejetée.

Source : Cour d’appel, Douai, 2e chambre, 2e section, 17 Octobre 2024 – n° 23/01696