
Dans l’arrêt du 9 janvier 2025, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a clarifié les conditions de recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, notamment en ce qui concerne la protection des droits d’exclusivité.
Contexte de l’affaire
La Direction générale des finances (DGF) de la République tchèque a attribué un marché public à la société IBM pour la maintenance d’un système informatique de gestion des impôts, en recourant à une procédure négociée sans publication préalable.
L’utilisation de cette procédure était justifiée par des raisons techniques et la protection des droits d’auteur d’IBM sur le code source du système. L’autorité de la concurrence tchèque a contesté cette procédure, estimant que la situation d’exclusivité était imputable au comportement antérieur du ministère des Finances, prédécesseur de la DGF, dès lors que le contrat initial stipulait qu’IBM était titulaire des droits de licence du système.
Analyse de la CJUE
La CJUE rappelle que le recours à la procédure négociée sans publication préalable est une exception aux principes de publicité et de mise en concurrence, et doit être interprété de manière stricte. Pour invoquer la protection des droits d’exclusivité en tant que justification, deux conditions cumulatives doivent être remplies :
- Existence de raisons techniques ou de droits d’exclusivité : le marché doit être attribué à un opérateur déterminé en raison de spécifications techniques ou de droits d’exclusivité liés à l’objet du marché.
- Nécessité absolue d’attribuer le marché à cet opérateur : il doit être démontré que l’attribution à un autre opérateur est impossible.
La Cour ajoute une troisième condition implicite :
- Absence d’imputabilité de la situation d’exclusivité au pouvoir adjudicateur : le pouvoir adjudicateur ne doit pas être responsable de la situation d’exclusivité invoquée.
En l’espèce, cette dernière condition doit s’apprécier en tenant compte des circonstances entourant la conclusion du contrat initial et de la période précédant le recours à la procédure négociée. Le pouvoir adjudicateur doit démontrerqu’il ne disposait pas de moyens réels et raisonnables pour mettre fin à la situation d’exclusivité avant de recourir à cette procédure.
Ainsi, s’agissant de la responsabilité du pouvoir adjudicateur dans l’existence d’une situation d’exclusivité, la CJUE invite la juridiction nationale à déterminer :
- Si le comportement du pouvoir adjudicateur est à l’origine de l’apparition d’une situation d’exclusivité,
- Si la perpétuation d’une telle situation d’exclusivité jusqu’à la décision de suivre la procédure négociée sans mise en concurrence est due à l’action ou à l’inaction de ce même pouvoir adjudicateur.
Cette décision souligne l’importance pour les pouvoirs adjudicateurs de justifier rigoureusement le recours à la procédure négociée sans publication préalable, en démontrant non seulement l’existence de raisons techniques ou de droits d’exclusivité, mais aussi l’absence de responsabilité dans la création ou le maintien de la situation d’exclusivité.
Cette décision appelle à une grande vigilance dans la rédaction des contrats informatiques, notamment des contrats de licence, afin de concilier la nécessité de transparence et les impératifs techniques des acheteurs dans leurs choix de procédure de passation.