
Dans les faits, une société A exploite une activité de vente de solutions d’encaissement et de gestion à destination de commerçants, majoritairement des restaurateurs, et prétend être titulaire des droits d’auteur sur un logiciel de caisse et de gestion : le logiciel CLYO SYSTEMS. Dans le cadre de son activité, elle a vendu des licences d’utilisation de ce logiciel à une société B qui commercialisait des caisses enregistreuses, caisses tactiles et TPE, à destination de clients finaux restaurateurs.
A la suite d’une enquête préliminaire par le Service National de Douane Judiciaire, la société A, revendiquant la titularité du logiciel CLYO SYSTEMS a suspecté (i) une utilisation frauduleuse de son logiciel par les clients finaux de la société B ainsi qu’une (ii) fourniture aux clients finaux des licences d’exploitation du logiciel sans autorisation, caractéristique d’un acte de contrefaçon.
La société exploitant le logiciel CLYO SYSTEMS assigne donc l’autre société, notamment sur le fondement de la contrefaçon.
Sur la recevabilité de l’action liée à la question du cumul de responsabilités
La société B arguait de l’irrecevabilité de l’action en contrefaçon expliquant que cette action, « de nature délictuelle, doit être écartée en application du principe de non-cumul des responsabilités », dans la mesure où le préjudice invoqué résultait d’une inexécution contractuelle, et que seule cette responsabilité pouvait donc être recherchée.
Néanmoins, le Tribunal rappelle l’interprétation faite par la Cour de justice de l’Union européenne des Directives 2004/48 et 2009/24, énonçant que la violation d’une clause d’un contrat de licence d’un programme d’ordinateur, portant sur les droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d’auteur de ce programme peut également relever de la notion « d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle » (CJUE, 18 décembre 2019, n° C-666/18).
Le Tribunal ajoute que, dès lors, que l’action sur le fondement de la responsabilité contractuelle ne permet pas à son bénéficiaire de disposer de l’ensemble des garanties prévues par la Directive 2004/48, la société demanderesse, qui justifie avoir subi une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle, est donc bien fondée à exercer l’action en contrefaçon.
Sur la titularité des droits sur le logiciel
La société B arguait que la société demanderesse n’était qu’un distributeur du logiciel dont elle invoquait la titularité, qui aurait en réalité été développé par une société tierce basée en Israël.
Le Tribunal soulève, toutefois, que si la société défenderesse semble contester la titularité des droits de la société demanderesse, elle ne soulève aucune irrecevabilité de la demande en contrefaçon pour défaut de qualité à agir. Le Tribunal en déduit, assez sévèrement, qu’il n’est pas saisi d’une contestation à ce titre et que la société demanderesse justifie d’une « exploitation paisible et non équivoque du logiciel » permettant de présumer sa titularité des droits d’auteur sur le logiciel CLYO SYSTEMS.
Sur l’originalité
La question de l’originalité d’un logiciel est désormais bien ancrée dans le paysage jurisprudentiel français, et invite l’auteur à démontrer en quoi il a fait preuve d’un « effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante et que la matérialisation de cet effort résidait dans une structure individualisée » (Cass, Assemblée plénière, Babolat c/ Pachot, 7 mars 1986, n° 83-10.477 ; confirmé dans le plus récent arrêt de la Cour d’appel de Douai en date du 8 février 2024, n°22/03719).
La société demanderesse expliquait que l’originalité de son logiciel résidait dans l’architecture du code source, ses spécifications externes, notamment ses interfaces et le séquencement de ses pages. C’est suffisant pour le Tribunal judiciaire de Lyon qui considère que ces éléments sont assez explicites dans la démonstration de l’originalité.
Sur la réparation de la contrefaçon
Le Tribunal expose qu’en « vendant à ses clients finaux des logiciels installés sur plus de postes que ses droits acquis », la société défenderesse avait nécessairement vendu des copies non autorisées du logiciel protégé par le droit d’auteur, et que cela constituait une atteinte au droit de reproduction de la société demanderesse.
En outre et bien que la contrefaçon ne requière pas la démonstration de l’élément intentionnel par le défendeur, le Tribunal précise tout de même que la société défenderesse avait nécessairement connaissance, au regard des éléments produits, que les logiciels acquis auprès de la société demanderesse ne permettaient leur installation que sur un unique poste et un usage par un seul utilisateur.
Une fois la contrefaçon caractérisée, le Tribunal se penche sur l’épineuse question du calcul de sa réparation.
D’une part, il souligne que le procès-verbal de constat produit met en exergue que la contrefaçon peut être retenue pour trois reproductions du logiciel, et qu’au regard du coût de reproduction des copies du logiciel, le manque à gagner s’évalue à 4 170 €. D’autre part, le Tribunal ajoute que la société titulaire des droits d’auteur sur le logiciel est également fondée à obtenir réparation du préjudice résultant de la perte d’investissements qu’elle a consentis pour faire connaître ses produits à hauteur de 5 000 €, et du préjudice moral.
Par conséquent, la société ayant commis les actes de contrefaçon est condamnée à payer à la société titulaire des droits d’auteur sur le logiciel, la somme de 25 000 € en indemnisation du préjudice total résultant de ladite contrefaçon.
Source : TJ Lyon, 12 novembre 2024, n° 19/02639