Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 1ère section, 27 juin 2024, 20/02476
Dans les faits, un éditeur de logiciel d’officine de pharmacie avait développé, en 2011, pour le compte d’un client, un outil d’extraction et de structuration de données, que ce dernier avait mis à disposition de son réseau de pharmacie.
Suspectant manifestement une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle, l’éditeur a adressé à plusieurs des pharmacies une demande d’audit des logiciels, prétextant la nécessité de procéder (en présence d’un huissier de justice et d’un expert informatique) à des vérifications préventives destinées à neutraliser un logiciel malveillant.
Le véritable but de ces opérations était en réalité de procéder à des constatations techniques et de constituer des preuves dans la perspective d’une éventuelle assignation en justice.
Ce stratagème va d’abord être considéré comme déloyal par le Tribunal judiciaire de Paris, chargé de trancher ce litige, a considéré que le mensonge employé pour convaincre les pharmacies de donner libre accès aux installations informatiques, et la dissimulation de l’objectif réellement poursuivi, avait constitué une pression afin d’obtenir leur accord pour réaliser des constatations.
Les constats d’huissiers seront donc rejetés, mais pas les rapports d’expertise se fondants sur lesdits constats.
Ces éléments ont malgré tout permis au Prestataire de se convaincre d’assigner son client pour réclamer :
- Près de 600.000€ au titre de la contrefaçon de son logiciel ;
- Et diverses sommes au titre notamment de l’atteinte aux systèmes de traitements automatisés de données (400.000€) et pour concurrence déloyale et parasitaire (500.000€), outre la désignation d’un expert pour chiffrer son préjudice de perte de marge.
Le Client estimait, de son côté, outre les fait que ces manquements n’étaient pas constitués, que le Prestataire avait trouvé le moyen d’entraver son activité par l’installation d’un logiciel de blocage et réclamait un préjudice de plus d’un million d’euros.
Pour établir la matérialité des actes de contrefaçon, l’éditeur produisait un rapport d’expertise qui ne contenait pas l’intégralité du code (cette production partielle était dictée par la nécessité de conserver le secret de cet actif stratégique).
De son côté, le client arguait d’une absence de description des lignes de codes arguées de contrefaçon et du fait que l’éditeur mettait seulement en avant l’originalité de certaines fonctionnalités et pas de la solution dans son ensemble, si bien que, ce faisant, elle ne prouvait pas l’originalité de la forme du code informatique constituant son logiciel.
Le Tribunal, rappelle d’abord, de façon traditionnelle que « l’auteur d’un logiciel qui se prévaut de son originalité doit faire preuve dans sa réalisation d’un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante, la matérialisation de cet effort résidant dans une structure individualisé ».
Or ici, pour le Tribunal, l’éditeur comme l’expert mandaté par ses soins, ne produisait que des extraits de codes, choisis arbitrairement et qu’en l’absence de communication intégrale du Code source, la preuve d’un logiciel globalement original n’était pas rapporté et la demande sera donc rejetée.
Le Tribunal précise que l’argument du « secret des affaires » n’empêchait pas l’éditeur d’aménager la communication de ce code, en saisissant le juge de la mise en état.
Le Tribunal rejetait ensuite les demandes formulées au titre de l’atteinte aux STAD et de la concurrence déloyale, au motif que les éléments de preuve fournis par l’éditeur sont insuffisants pour caractériser de tels manquements.
Pour les mêmes raisons, liées à l’absence de preuve, la demande reconventionnelle du client, qui accusait l’éditeur d’avoir inséré un logiciel bloquant le logiciel argué de contrefaçon, sera rejetée par le Tribunal, qui renverra donc les parties dos à dos, en condamnant toutefois le Prestataire à 8.000€ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
En synthèse, ce jugement est une nouvelle illustration de la rigidité imposée à l’éditeur qui agit en contrefaçon de logiciel et sur qui pèse l’intégralité du fardeau probatoire.
On peut également regretter l’exigence des Tribunaux (et des Cours d’appel) qui exigent la communication de l’intégralité du Code source ce qui, au-delà des difficultés pratiques et de divulgation d’un actif à très forte valeur ajoutée, ne se justifie pas systématiquement. On peut en effet se demander en quoi un juge (sauf s’il est également informaticien) sera plus apte à apprécier l’originalité d’un code source (qu’il ne comprendra, a priori, pas ou seulement au travers les analyses, nécessairement orientées, qu’en feront les experts) en disposant de tout le code et pas simplement d’extraits.
Ces difficultés étaient déjà exprimées dans un article paru dans la revue « propriété industrielle » et qui interrogeait sur la répartition de la charge de la preuve dans ce type de contentieux.
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