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Quelques précisions sur les règles d’indemnisation en matière de contentieux informatique

01 novembre 2024 | Derriennic Associés |

Quelques précisions sur les règles d’indemnisation en matière de contentieux informatique

Cour d’appel, Lyon, 3e chambre A, 26 Septembre 2024 – n° 23/02861

Dans cet arrêt, la Cour d’appel de Lyon fournit des précisions utiles sur la façon de chiffrer les postes respectifs de préjudice des parties, dans le cadre d’un échec de projet informatique, à la fois côté client et côté prestataire.

En l’espèce un fabricant d’ascenseurs, avait confié à un éditeur de logiciel, la conception et l’installation d’un de ses outils de gestion de production industrielle.

Invoquant de graves défaillances, le client avait finalement mis un terme aux relations contractuelles en janvier 2012 mais c’est l’éditeur qui avait pris l’initiative de l’assigner en paiement du solde des factures.

Le Tribunal de commerce de Lyon avait d’abord fait droit à la demande du prestataire, rejetant au passage la demande d’expertise sollicitée par le client. Saisie du dossier, la Cour d’appel de Lyon avait spontanément désigné un expert judiciaire et, sur la base de son rapport, retenu la responsabilité de l’éditeur, à hauteur de 485.801€.

La Cour avait cependant rejeté une partie des demandes indemnitaires du client (liées notamment à des surcoûts liés à l’intervention de prestataires tiers, et au coût des salariés affectés au projet ERP), si bien que le client (et le prestataire d’ailleurs) s’étai(en)t pourvu(s) en cassation.

Par un arrêt du 29 mars 2023, que notre cabinet avait d’ailleurs commenté , la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel, mais seulement en ce qu’il avait :

  • Rejeté les demandes indemnitaires du client au coût des salariés affectés au projet ERP (prenant la peine de préciser que la Cour ne pouvait reconnaître l’existence d’un préjudice, mais refuser de l’indemniser faute de parvenir à le valoriser) ;
  • Condamné l’éditeur à régler un certain nombre de sommes liées à l’intervention de prestataires tiers, sans caractériser un lien direct entre le préjudice et le fait dommageable.

Par déclaration de saisine du 4 avril 2023, le client avait donc saisi la Cour de renvoi (Cour d’appel de Lyon) pour faire valoir que si la question de la responsabilité était définitivement tranchée, le quantum de ses préjudices devait donc être revu à la hausse.

S’agissant en premier lieu du coût des salariés affectés au projet

Le client faisait valoir qu’il avait mobilisé du personnel et procédé à des recrutements, pour la réalisation de prestations qui n’ont finalement servi à rien, outre la désorganisation interne que ce projet a généré.

Se fondant sur le rapport d’expert, la Cour d’appel de Lyon retient que :

Le contrat a été exécuté à hauteur de 75% par le prestataire et de façon conforme de 2007 à 2011 et ont apporté les services escomptés ;

Il est toutefois indéniable que le client a mobilisé du personnel en pure perte entre mai et décembre 2011, lorsqu’il s’est agi de tester, se former et tenter de mettre en œuvre le logiciel ;

Seuls les coûts exposés sur ces 6 mois de projet seront donc indemnisés, soit un total de 58.988,52€ (correspondant à des coûts d’intérimaire et à un CDD dédié au projet).

Une telle décision peut surprendre, puisque l’arrêt commenté, s’il prend soin de rappeler que le projet avait été divisé en 3 lots fonctionnels, n’explique pas en quoi la livraison (a priori de façon conforme) des premiers lots pouvait présenter un intérêt si le dernier lot n’était pas livré (le projet pouvait-il être repris par un tiers ? les deux premiers lots pouvaient-ils être mis en production et fonctionner de façon autonome ? L’arrêt de cassation et le précédent arrêt d’appel ne donnent pas non plus d’indice sur ce point.

S’agissant des postes de préjudices invoqués par le prestataire

La Cour a ensuite été amenée à examiner plusieurs postes de préjudices invoqués par le client, entretenant un lien plus ou moins direct avec le projet :

  • S’agissant des factures relatives à du matériel commandé pour faire fonctionner le logiciel, la Cour d’appel retient que l’échec du projet a effectivement contraint le client à basculer sur un nouvel outil, et donc à acheter du nouveau matériel, sans que le matériel acquis pour le projet ne soit amorti. Elle retient donc un préjudice égale à 50% du coût du matériel acquis ;
  • S’agissant des licences IBM liées à l’hébergement de l’ancienne solution, la Cour rappelle que si le client a effectivement dû maintenir cette licence pour pouvoir continuer à utiliser son ancien outil, elle n’a pas réglé de maintenance à l’éditeur et s’est fait rembourser le coût du projet et des licences, si bien que le client n’a pas été exposé à un double paiement. Elle rejette donc ce poste de demande (et pour les mêmes raisons, la prise en charge des factures relatives à la maintenance de l’ancienne solution) ;
  • S’agissant des factures émises par le prestataire qui avait audité le système d’information du client, lorsque le projet commençait à péricliter, notamment pour « réorienter son système d’informations » étaient directement liées au projet et devaient être prises en charge par le prestataire à hauteur de 50% ;

S’agissant des prestations de conseil réalisées en avant-vente pour rédiger un cahier des charges et analyser les offres techniques, la Cour retient que ces prestations étant antérieures à l’intervention de l’éditeur, elles sont sans lien avec l’échec du projet.

En définitive, suite à cet ultime arrêt et par un effet de double rééquilibrage (à la fois à la hausse pour les coûts internes, et à la baisse pour les factures de prestataires tiers), le client voit le quantum de ses préjudices sensiblement revu à la baisse, passant donc de 485.801€ à 392.435€.