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Face au risque de déni de justice, l’obligation faite au juge de tenter de chiffrer les préjudices

01 novembre 2024 | Derriennic Associés |

Face au risque de déni de justice, l’obligation faite au juge de tenter de chiffrer les préjudices

Par un arrêt du 29 mars 2023 (n°21-21.432) la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelait, au visa de l’article 4 du Code civil, que « le juge ne peut refuser d’indemniser un préjudice dont il constate l’existence en son principe, en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les Parties ». Ce principe est évidemment contraignant pour les juges qui doivent parfois faire preuve d’imagination pour quantifier un préjudice, en l’absence d’éléments de preuve fournis. C’est face à cette difficulté que la Cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt du 15 octobre 2024, tente de répondre.

L’obligation faite au juge de chiffrer les préjudices

Selon l’article 4 du Code de procédure civil :

  • « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ».

Par une application extensive de ce texte, la Cour de cassation avait considéré, dans un arrêt du 29 mars 2023 que le juge ne pouvait pas non plus se baser sur l’obscurité ou l’insuffisance des éléments produits par les  parties, pour refuser de juger :

  • « En application de ce texte, le juge ne peut refuser d’indemniser un préjudice dont il constate l’existence en son principe en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties »

Elle censurait ainsi une Cour d’appel qui avait refusé d’allouer la moindre indemnité à une société dont le préjudice était incontestable mais non justifié :

  • « En statuant ainsi, alors qu’il lui incombait d’évaluer le préjudice résultant des travaux réalisés en pure perte de mai 2011 à fin 2011 par le personnel affecté au projet ERP, dont elle avait constaté l’existence, au besoin en recourant à une mesure d’instruction complémentaire, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Les conséquences : un arbitrage parfois au « doigt mouillé »


Au cas d’espèce, sur fond de remises en causes de prestations informatiques réalisées au profit d’un de ses clients, un prestataire informatique avait exigé, en justice, le règlement d’un certain nombre de factures.

Outre une contestation sur la qualité des prestations objet du différend, dont l’intérêt (juridique) est limité, le client remettait en cause le nombre d’heures facturées par son prestataire, et ce faisant, le quantum de l’indemnité réclamée.

Le contrat prévoyait en effet la disposition suivante :

  • « La facturation se fera sur une base de 60€ ht/heure travaillée. Les heures travaillées chaque mois seront maintenues par le prestataire dans un tableau et mises à disposition des clients ».

Or le client arguait que son Prestataire ne lui avait jamais fourni ce tableau récapitulatif d’heures.

Constatant que le client, s’il contestait le nombre d’heures potentiellement effectuées, ne niait pas que des heures aient effectivement été mobilisées par le Prestataire, la Cour d’appel choisit de couper la poire en deux :

  • « La société A ne démontre pas avoir tenu à disposition de son client le tableau des heures travaillées visé au contrat. Elle a donc été défaillante dans l’exécution de ses obligations contractuelles relatives à la facturation, et ne rapporte pas la preuve du nombre d’heures travaillées par la production du tableau visé au contrat.

Pour autant, une nouvelle fois, la société B ne conteste pas la réalisation d’une prestation en exécution de ce contrat, par la société A.

Les honoraires sont donc fondés en leur principe, et en application de l’article 4 du code civil, la Cour ne peut pas se limiter à rejeter la demande en paiement, mais doit en fixer le montant.

A défaut d’élément plus précis émanant des parties quant au détail des prestations réalisées en exécution du contrat du 5 mars 2020, il conviendra d’admettre la société A fondée à réclamer 50% des sommes facturées de ce chef ».

Il s’agit d’une nouvelle démonstration de la part d’arbitraire qu’il incombe aux juridictions d’user, pour ne pas tomber dans le déni de justice.

Précisons tout de même qu’au cas d’espèce, les sommes réclamées étaient modiques et qu’il aurait probablement été préférable, si les montants avaient été conséquents, d’imposer une expertise judiciaire, a minima sur le volets préjudices.