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Quand la vodka « CHOPIN » défend sa renommée

11 mars 2025 | Derriennic Associés |

Quand la vodka « CHOPIN » défend sa renommée

La chambre de recours de l’EUIPO (European Union Intellectual Property Office) a récemment rejeté une demande de marque de l’Union européenne « CHOPIN » déposée en classes 29, 30 et 32 notamment pour des chocolats, divers gâteaux et boissons non alcoolisées, arguant qu’un tel dépôt était constitutif d’un parasitisme commercial à l’encontre de la marque de renommée du même nom, exploitée pour de la vodka (EUIPO, chambre de recours, 13 février 2025, R 304/2024-5).

L’Affaire « CHOPIN » : Chocolat versus Vodka

 Le 15 mars 2022, une société de droit espagnol a déposé une demande de marque verbale de l’Union européenne « CHOPIN » auprès de l’EUIPO, afin de désigner une gamme de produits alimentaires et des boissons non alcoolisées (en classes 29, 30 et 32). Cette demande couvrait notamment les boissons à base de lait, les viennoiseries, le chocolat et les boissons aux fruits.

 Le 27 juin 2022, la société de droit polonais, Podlasie Vodka Factory « Polmos » SA, titulaire de plusieurs marques antérieures et notamment d’une marque de l’Union européenne verbale « CHOPIN », déposée pour des « boissons alcooliques (à l’exception des bières) » en classe 33, a formé opposition à cet enregistrement. 

Selon l’opposante, l’usage du signe « CHOPIN » pour des produits alimentaires en classes 29, 30, 32, risquerait de tirer indûment profit de la renommée invoquée de la marque antérieure du même nom. x

Le 22 décembre 2023, la division d’opposition de l’EUIPO a fait droit à l’opposition en approuvant l’argumentaire de l’opposante, considérant que le signe « CHOPIN » pour des produits alimentaires tirerait profit de la renommée et de l’attractivité de la marque de vodka. A la suite du recours du déposant, la chambre de recours s’est elle aussi prononcé sur l’affaire.

L’application par l’EUIPO des critères de la marque renommée

L’article 8(5) du Règlement sur la marque de l’Union européenne (RMUE) permet au titulaire d’une marque jouissant d’une renommée dans l’Union de pouvoir s’opposer à l’enregistrement d’une demande de marque identique ou similaire, alors même que les produits et services en cause ne sont pas identiques ou similaires. 

Le titulaire revendiquant la protection d’une marque antérieure à ce titre doit : 

  • Démontrer la renommée de sa marque (1) ;
  • Démontrer que le public pertinent est susceptible d’établir un « lien » entre les marques en présence, sans pour autant les confondre (2) ;
  • Démontrer que l’usage sans juste motif de la demande de marque tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque antérieure ou leur porterait préjudice (3)

L’appréciation de la renommée de la marque antérieure « CHOPIN » 

Afin de bénéficier de cette protection, l’opposant doit démontrer que sa marque jouit d’une renommée auprès du public pertinent dans l’Union européenne.

Par ailleurs, à la demande du déposant, le titulaire de la marque antérieure été contraint de démontrer l’usage sérieux de sa marque antérieure, enregistrée depuis plus de 5 cinq ans au moment de l’introduction de la demande de marque contestée. Cette démonstration a été effectuée avec succès pour la « vodka ». 

Dans cette affaire, la Chambre de Recours de l’EUIPO a retenu que la marque CHOPIN jouissait effectivement d’une renommée avérée en Pologne et en Europe pour la vodka, sur la base des éléments suivants :

·       Des preuves de ventes importantes (notamment 180 factures démontant la vente de milliers de bouteilles) dans plusieurs États membres de l’Union européenne, en Pologne mais également notamment aux Pays-Bas, en Belgique en Allemagne, en Italie, au Royaume-Uni ou encore en Lettonie.

·       Des investissements marketing et publicitaires continus, avec des campagnes publicitaires dans de grands magazines, des partenariats et parrainages d’évènements et de salons célèbres ;

·       Des études de marché, démontrant une forte association du terme CHOPIN avec la vodka parmi les consommateurs sollicités (80 % des consommateurs réguliers de vodka polonais identifient CHOPIN comme une marque de vodka).

·       Des décisions judiciaires, confirmant le statut de marque renommée en Pologne.

 Ainsi, la chambre de recours a confirmé la décision de la chambre d’opposition de l’EUIPO, selon laquelle la marque CHOPIN bénéficie d’une renommée suffisante lui permettant de bénéficier de la protection renforcée de l’article 8(5) du RMUE.

L’évaluation du lien entre les marques en conflit

La jurisprudence européenne a établi une liste non exhaustive de critères, afin de déterminer si un tel lien existe entre des marques en conflit. Au regard de ces critères, la chambre de recours a considéré qu’il existe effectivement un lien entre les marques en conflit :

  • L’identité ou le degré de similitude des signes en cause : en l’espèce, la demande de marque « CHOPIN » est identique à la marque antérieure de l’opposante ; 
  • Le degré de renommée de la marque antérieure : la renommée de la marque antérieure est reconnue comme étant particulièrement forte dans le domaine des spiritueux ;
  • Le degré de proximité (et non de similarité) entre les produits désignés par les marques en conflit : bien que les produits alimentaires et les boissons non alcoolisées ne soient pas directement concurrents des boissons alcoolisées, la chambre de recours a considéré qu’ils partageaient des circuits de distribution communs(supermarchés, restaurants, bars) ; 
  • Le caractère distinctif de la marque antérieure : la chambre de recours considère que la marque antérieure possède un caractère distinctif intrinsèque moyen en ce qui concerne la vodka, doublé d’un caractère distinctif élevé en raison de son usage long et intensif pour de la vodka sur le marché polonais ; 
  • Le contexte de consommation : les produits alimentaires en cause peuvent être associés aux spiritueux (exemple : cocktails à base de chocolat et de vodka), renforçant le lien dans l’esprit du consommateur.

Le risque de préjudice

Les atteintes contre lesquelles le RMUE assure une protection sont :

  • Le préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure ; 
  • Le préjudice porté à la renommée de cette marque ; 
  • Le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque, à savoir un « parasitisme » sur la renommée de la marque.

C’est cette dernière atteinte qui était invoquée par l’opposante.

Le requérant peut seulement démontrer un des 3 préjudices précités. 

La chambre de recours a rappelé que le parasitisme sur la renommée d’une marque est « le risque que l’image de la marque renommée ou les caractéristiques projetée par cette dernière soient transférées aux produit et services désignés par la marque contestée, de sorte que leur commercialisation serait facilitée ».

Le préjudice n’a pas à être réel ou actuel, mais il peut seulement être prévisible.

En l’espèce, l’EUIPO a considéré que l’usage du terme CHOPIN pour des produits alimentaires et des boissons non alcoolisées aurait pour effet de tirer un profit indu de la renommée de la vodka CHOPIN exploitée par le titulaire de la marque antérieure, en raison :

  • De l’attractivité publicitaire de la marque antérieure, qui aurait bénéficié indûment aux produits du déposant sans effort marketing équivalent ;
  • De la captation d’une partie du prestige de la marque de vodka ;
  • Du détournement potentiel du pouvoir d’attraction de la marque, qui aurait pu conduire certains consommateurs à attribuer les caractéristiques des produits de l’opposante à ceux du déposant ;

Enfin, le déposant n’a fait la preuve d’aucun « juste motif » de l’usage qui lui aurait permis de surmonter l’opposition.

Ainsi, la demande de marque CHOPIN pour des produits alimentaires a été rejetée au motif qu’elle profitait de la notoriété de la vodka CHOPIN de manière injustifiée.

Cette décision rappelle l’utilité de l’article 8(5) du RMUE : protéger les investissements des titulaires des marques de luxe contre toute exploitation de leur attractivité, indépendamment du principe de spécialité et sans besoin de démontrer un risque confusion. Elle démontre aussi l’importance de se constituer et de conserver, tout au long de l’exploitation, des preuves solides et continues afin de démontrer tant la renommée que l’usage sérieux de la marque.