CONTACT

Contrefaçon d’une chanson : Quel est l’argument clé de défense ?

14 février 2017 | Alexandre FIEVEE|

Il n’est pas rare que l’auteur-compositeur d’une chanson à succès fasse l’objet, quelque temps après sa sortie, d’une réclamation émanant d’un tiers, et ce sur le terrain de la contrefaçon de droits d’auteur. Les affaires récentes ne manquent pas. On peut citer la réclamation dont a fait l’objet l’auteur-compositeur de la chanson Si seulement je pouvais lui manquer[1] ou encore celui de la chanson Aïcha[2]. Cette démarche – mise en œuvre tantôt de bonne foi tantôt de mauvaise foi – vise, pour l’auteur de l’œuvre prétendument copiée, à obtenir, sur le plan civil, la réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de son œuvre. Pour le défendeur, il s’agit d’écarter le grief de la contrefaçon afin d’éviter toute forme de condamnation. Les arguments en défense sont nombreux. L’un d’entre eux semble pourtant assez méconnu…

L’originalité, un moyen de défense à double tranchant

Dans ce genre de contentieux, le demandeur s’efforce de démontrer les similitudes entre les deux chansons, alors que le défendeur, tout en contestant de telles similitudes, argumente qu’en tout état de cause l’œuvre prétendument contrefaite n’est pas protégée par le droit d’auteur, faute d’originalité. Une telle ligne de défense est parfaitement cohérente au regard de la règle prétorienne selon laquelle une œuvre n’est protégeable par le droit d’auteur que sous réserve que son auteur ait démontré son originalité. En d’autres termes, il doit rapporter la preuve que l’œuvre en question lui est propre, en ce qu’elle serait « le reflet de sa personnalité »[3]. A défaut de rapporter une telle preuve, son action en contrefaçon est irrecevable.

Cette stratégie du défendeur, qui consiste à contester l’originalité de l’œuvre prétendument contrefaite, peut donc s’avérer payante. Mais à quel prix ? Payante parce qu’effectivement certains enchaînements d’accords sont assez couramment utilisés par les artistes contemporains et parce que certaines chansons s’inscrivent dans le cadre d’une inspiration musicale commune liée à un style particulier, héritier d’une musique déterminée. Dans un tel contexte, il est difficile pour le demandeur de démontrer l’originalité de son œuvre, comme le reflet de sa personnalité. Mais, pour le défendeur, prétendre que l’œuvre initiale n’est pas originale, c’est également, en cas de similitudes entre les deux chansons litigieuses, reconnaître implicitement que la sienne ne l’est pas d’avantage. Et ce n’est pas sans incidence… N’oublions pas, en effet, que la rémunération de l’auteur-compositeur est le résultat de la cession de ses droits d’auteur notamment à sa maison de disques. Or, si l’œuvre n’est pas originale, son auteur ne peut prétendre être titulaire de droits d’auteur sur cette œuvre, droits qu’il n’a donc pas pu céder, moyennant rémunération… C’est la raison pour laquelle il faut être extrêmement prudent lorsque l’on invoque le défaut d’originalité comme moyen de défense, au risque de reconnaître soi-même que notre propre œuvre n’est pas plus originale que celle prétendument contrefaite.

La « rencontre fortuite » et les « réminiscences issues d’une source d’inspiration commune » : la consécration de l’exception de « bonne foi »

C’est pourquoi, il est parfois plus judicieux, en défense, de se prévaloir de l’exception dite de « rencontre fortuite » ou l’exception dite des « réminiscences issues de sources d’inspirations communes », qui permet d’écarter le grief de la contrefaçon sans avoir à contester l’originalité de l’œuvre prétendument contrefaite. C’est par un arrêt du 12 décembre 2000 que la Cour de cassation a consacré, pour la première fois, ce principe en écartant le grief de la contrefaçon du fait que « les ressemblances entre [les] deux œuvres provenaient de rencontres fortuites ou de réminiscences résultant notamment de leur source d’inspiration commune »[4]. Cette solution a été confirmée récemment par la même juridiction dans les termes suivants, dans une affaire opposant l’auteur d’un roman au producteur d’une célèbre série télévisée diffusée sur France 3 : « la contrefaçon [d’une] œuvre résulte de sa seule reproduction et ne peut être écartée que lorsque celui qui la conteste démontre que les similitudes existantes entre les deux œuvre procèdent d’une rencontre fortuite ou de réminiscences issues d’une source d’inspiration commune »[5].

On aura bien compris qu’à travers la prise en compte du hasard comme principal responsable de la similarité de deux œuvres, le juge consacre l’exception de « bonne foi ». Il s’agit là d’une véritable innovation puisque si la preuve de la bonne foi permet d’écarter le délit pénal de la contrefaçon, elle était jusqu’à présent indifférente sur le plan strictement civil. Désormais, et bien que cette solution soit encore méconnue, la preuve de la bonne foi du prétendu contrefacteur peut permettre à celui-ci de s’exonérer de toute responsabilité civile alors même que son œuvre serait la reprise totale ou partielle de l’œuvre antérieure d’un autre auteur.

Il lui reste toutefois au défendeur à établir sa bonne foi. En effet, c’est à lui qu’il revient de rapporter la preuve de la rencontre fortuite ou de l’existence de réminiscences issues d’une source d’inspiration commune. C’est d’ailleurs ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt récent du 3 novembre 2016 : « Il incombe à celui qui, poursuivi de contrefaçon, soutient que les similitudes constatées entre l’œuvre dont il déclare être l’auteur et celle qui lui est opposée, procèdent d’une rencontre fortuite ou de réminiscences issues d’une source d’inspiration commune, d’en justifier par la production de tous les éléments utiles. »[6]

Or, une telle preuve n’est pas toujours aisée à établir, puisqu’il s’agit de prouver un fait négatif. Toutefois, la circonstance selon laquelle l’œuvre première n’aurait pas été diffusée avant la conception de l’œuvre seconde, peut s’avérer être un argument de taille dans la démonstration de la bonne foi du défendeur, qui manifestement ne pouvait pas avoir eu connaissance de l’œuvre prétendument contrefaite… Sa tâche se complique en revanche si l’œuvre prétendument contrefaite a fait l’objet d’une diffusion antérieure à la sienne. Ainsi, dans une affaire opposant le groupe espagnol El Principe Gitano – titulaire des droit sur l’œuvre D…Oba – au groupe Gipsy Kings – titulaire des droits sur l’œuvre Djobi Djoba -, la Cour d’appel de Paris, qui avait écarté le grief de la contrefaçon au motif qu’il n’était pas établi que le second avait eu connaissance de l’œuvre du premier compte tenu du caractère restreint de la diffusion de la chanson D Oba, a été censurée par la première chambre civile la Cour de cassation dans les termes suivants : « Qu’en fondant ainsi sa décision sur le fait qu’il n’était pas établi que les Gipsy Kings aient eu connaissance de l’œuvre prétendument contrefaite en raison d’une diffusion restreinte sur le territoire français, alors qu’elle constatait par ailleurs que cette œuvre avait fait l’objet d’une diffusion phonographique à plusieurs milliers d’exemplaires en 1979 et 1982, ce dont il résultait que l’accès à cette œuvre avait été rendu possible en raison d’une divulgation certaine, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constations. »[7] Une telle solution a été rappelée récemment par la même chambre, dans l’arrêt susvisé du 3 novembre dernier : « qu’ayant relevé que M. X… établissait que son œuvre avait donné lieu à des représentations publiques et qu’elle avait été soumise aux milieux professionnelles et notamment à la société Universal Music, en sorte que sa divulgation était certaine, la cour d’appel a (…) estimé que MM.A… n’établissaient pas l’impossibilité dans laquelle ils se seraient trouvés d’avoir eu accès à la chanson (…) »[8]. Si l’exception de « bonne foi » semble donc désormais bien ancrée dans le paysage juridique du droit d’auteur, elle semble encore très théorique compte tenu des difficultés rencontrées, par ceux qui s’en prévalent, pour en tirer profit.

Alexandre FIEVEE

DERRIENNIC ASSOCIES