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L’Autorité de la concurrence sanctionne Doctolib pour abus de position dominante

20 novembre 2025 | Alexandre Renou|

L’Autorité de la concurrence sanctionne Doctolib pour abus de position dominante

Le 6 novembre 2025, l’Autorité de la concurrence a rendu la décision n° 25-D-06 portant sur des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la prise de rendez-vous médicaux en ligne et des solutions de téléconsultation médicale. En l’espèce, l’Autorité sanctionne Doctolib pour abus de position dominante après avoir mis en place dans ses contrats des clauses d’exclusivité et contraint certains de ces clients à des ventes liées, et avoir fait l’acquisition prédatrice de son concurrent principal.    

Les pratiques contractuelles sanctionnées par l’Autorité de la concurrence

Les marchés concernés par les pratiques contractuelles et les effets de réseau

Dans sa décision, l’Autorité identifie deux marchés distincts mais étroitement liés :

  • Le marché des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne : il regroupe les solutions permettant aux professionnels de santé de gérer leurs agendas, et aux patients d’accéder à des créneaux de consultation via des plateformes numériques. Sur ce marché, Doctolib détient des parts extrêmement élevées depuis 2017, fréquemment supérieures à 50 %, parfois proches de 90 % sur certaines années.
  • Le marché des solutions de téléconsultation médicale : il concerne les outils permettant de réaliser une consultation médicale à distance. Doctolib y occupe également une position significative, avec plus de 40 % de parts de marché depuis 2019.

L’Autorité souligne que ces marchés numériques sont caractérisés par d’importants effets de réseau, qui renforcent mécaniquement la position dominante des opérateurs en place et accroissent les risques de verrouillage concurrentiel :

  • Plus une plateforme regroupe de praticiens, plus elle est attractive pour les patients, qui y trouvent une disponibilité accrue et un plus large choix de spécialistes. Cet effet favorise l’acteur dominant et contribue à l’agrégation progressive de la demande.
  • Inversement, plus une plateforme attire de patients, plus elle devient indispensable pour les praticiens qui souhaitent être visibles et limiter les défections. Le non-recours à la plateforme dominante peut être perçu comme un désavantage concurrentiel pour certains cabinets.

De plus, les professionnels de santé intègrent la plateforme dans leur gestion quotidienne. Migrer vers un concurrent implique des coûts techniques, organisationnels et parfois financiers importants. Ces coûts de changement renforcent la dépendance à l’opérateur en place.

Pratiques contractuelles abusives : clauses d’exclusivité et ventes liées

Dans ce contexte structurel favorable au verrouillage, l’Autorité examine deux pratiques contractuelles mises en œuvre par Doctolib, qu’elle qualifie d’abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE et de l’article L.420-2 du Code de commerce :

  • En premier lieu, Doctolib a mis en œuvre, jusqu’en septembre 2023, des clauses d’exclusivité dans ses contrats d’abonnement avec les professionnels de santé. Ces clauses permettaient notamment la suspension ou la résiliation du contrat si le professionnel recourait à un concurrent.

Ce dispositif est estimé comme une stratégie consciente de verrouillage. Dans des documents internes de Doctolib analysés par l’Autorité, les dirigeants indiquaient vouloir « être une interface obligatoire et stratégique entre le médecin et son patient afin de les verrouiller tous les deux ». L’Autorité considère que ces clauses ont limité le choix des professionnels de santé.

  • La deuxième pratique contractuelle reprochée à Doctolib est la vente liée entre deux de ses services. La mise à disposition de la solution de téléconsultation était conditionnée à la souscription préalable du logiciel de prise de rendez-vous. Concrètement, dès le lancement de la solution « Doctolib Téléconsultation » en 2019, les contrats de Doctolib prévoyaient qu’un professionnel de santé déjà client d’un concurrent pour la téléconsultation mais non client de l’agenda Doctolib devait en premier lieu souscrire à l’agenda Doctolib avant d’être éligible à la téléconsultation. 

L’Autorité considère que cette pratique a eu pour effet d’accroître artificiellement la base clients de la prise de rendez-vous Doctolib, de renforcer la position dominante de la société sur ce premier marché et d’entraver l’accès de concurrents à ce marché. 

L’opération de rachat de MonDocteur : une concentration « sous les seuils » qualifié d’abus de position dominante

Délimitation du marché concerné par la concentration et position concurrentielle de MonDocteur

La société MonDocteur, rachetée par Doctolib le 10 juillet 2018, était alors identifiée comme le concurrent principal de cette dernière sur le marché des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne.

En 2018, avant la fusion, le marché français de la prise de rendez-vous médicaux en ligne était certes fortement concentré, mais présentait encore une structure concurrentielle significative :

  • Doctolib détenait une position dominante, mais
  • MonDocteur constituait une alternative crédible,
  • d’autres plateformes plus petites existaient encore, offrant des possibilités d’entrée ou d’expansion.

MonDocteur, adossée au groupe Lagardère disposait d’une marque connue et d’un vivier de praticiens abonnés. Sa disparition n’était donc pas neutre : elle privait les praticiens et les patients d’une alternative majeure. En éliminant le concurrent principal de Doctolib, l’opération créait un risque réel de basculement du marché vers une situation quasi-monopolistique.

Cette analyse de marché justifie que l’Autorité examine l’opération sous l’angle de l’abus de position dominante.

L’acquisition de MonDocteur et l’héritage de l’arrêt Towercast

L’opération de rachat de Mon Docteur n’avait pas été notifiée à l’Autorité, car elle se situait sous les seuils de contrôle des concentrations prévus par l’article L.430-2, I du Code de commerce

Dans sa décision, l’Autorité invoque l’Arrêt Towercast (CJUE, 16 mars 2023, C-449/21) selon lequel une opération de concentration non notifiée peut, en soi, constituer un abus de position dominante aux termes des articles 102 TFUE et L.420-2 C. com. Cette jurisprudence ouvre la voie à un contrôle des concentrations, à posteriori, et même en l’absence d’obligation de notification, dès lors que l’opération renforce considérablement la position dominante d’une entreprise.

L’Autorité applique pour la première fois cette jurisprudence en considérant que l’achat de MonDocteur par Doctolib, bien que sous les seuils, pouvait avoir pour objet ou pour effet de renforcer abusivement la position dominante de l’acquéreur.

En effet, l’Autorité relève que l’acquisition poursuivait un objectif d’éviction et de verrouillage. Les documents internes de Doctolib démontraient que l’acquisition visait avant tout à supprimer la menace concurrentielle de MonDocteur.

Au total, la sanction pécuniaire est de 4 665 000 €, dont 4 615 000 € pour les pratiques contractuelles (clauses d’exclusivité et ventes liées) et 50 000 € pour l’opération de concentration. L’Autorité a également enjoint à Doctolib de publier un résumé de la décision dans un journal professionnel et sur son site Internet. 

Cette décision rappelle ainsi la vigilance particulière qui s’impose aux éditeurs lors de la rédaction de leurs conditions générales et notamment des clauses d’exclusivité, de non-recours à des outils concurrents, et des modalités de sortie. Elle amène également les éditeurs de plateformes à analyser attentivement les risques lorsqu’elles souhaitent conditionner l’achat d’un service (ou d’un module) à la souscription obligatoire à un autre service. Enfin, les entreprises doivent documenter de façon interne toute acquisition, même inférieure aux seuils de notification, sous l’angle de ses effets concurrentiels.

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