(Décision de la Cour Suprême de Grande-Bretagne du 17 avril 2013 (Public Relations Consultants Association Limited c/ The Newspaper Licensing Agency Limited and others))
Lien vers la décision
Rappel des faits
Cette affaire concerne le service de veille d’actualités en ligne de la société MELTWATER, qui utilise un logiciel permettant de parcourir des sites web de médias et de créer un index journalier de mots apparaissant dans des articles publiés sur ces sites. A partir de cet index, MELTWATER produit pour ses clients, en fonction des mots-clés qu’ils recherchent, un « report monitoring » listant l’ensemble des résultats de leurs recherches et contenant : le titre et les premières lignes des articles, les mots clés y figurant et un lien permettant de consulter les articles dans leur intégralité sur internet. MELTWATER envoie ce livrable à ses clients par mail, mais ceux-ci peuvent aussi le consulter en ligne.
La Newspaper Licensing Agency (NLA), société de gestion collective représentant plusieurs éditeurs de presse et délivrant des licences pour utiliser la presse au Royaume-Uni, a considéré que non seulement MELTWATER devait détenir une licence « NLA » pour offrir un tel service mais aussi les utilisateurs dudit service. En effet, les livrables comprendraient, selon NLA, des extraits substantiels des titres et des articles et seraient donc protégés par le droit d’auteur.
Considérant qu’il y aurait ainsi eu violation des droits d’auteur de ses membres, la NLA a engagé une action à l’encontre de MELTWATER et de l’association « Public Relations Consultants Association » (PRCA), dont les membres sont des utilisateurs du service de veille de MELTWATER.
Deux points n’ont pas été contestés dans ce litige : (i) le fait que MELTWATER doive souscrire une licence NLA pour fournir ce service ; (ii) le fait que ses clients doivent souscrire une licence NLA pour recevoir le livrable par mail, car il s’agit d’une copie du livrable non temporaire.
La question restant en suspens était donc la suivante : les clients de MELTWATER doivent-ils détenir une licence distincte pour simplement visualiser le contenu qui leur est fourni par MELTWATER ?
La décision de la Cour Suprême de Grande-Bretagne
Il appartenait à la Cour Suprême de juger si des copies temporaires d’œuvres protégées par le droit d’auteur, produites pendant la navigation sur internet (aussi bien sur l’écran de l’utilisateur que dans la mémoire cache de l’ordinateur) bénéficient de l’exception pour copie temporaire de la directive 2001/29/EC.
Compte tenu de la dimension internationale du recours et des potentielles implications pour les internautes dans toute l’Union Européenne, la Cour, a décidé de se tourner vers la CJUE pour une décision préjudicielle.
Elle a néanmoins exprimé son point de vue sur la problématique : elle a considéré que l’exception prévue à l’article 5.1 de la directive s’appliquait aux copies temporaires générées par un internaute, et qu’ainsi ce dernier n’avait pas besoin d’autorisation pour naviguer et visualiser du contenu protégé par le droit d’auteur sur des pages web.
Pour aboutir à cette conclusion, elle a notamment rappelé le considérant 33 de la directive de 2001, qui dispose notamment que l’exception prévue à l’article 5 couvre, sous réserve qu’ils remplissent les conditions dudit article, les actes qui permettent le survol (browsing), ainsi que les actes de prélecture dans un support rapide (caching).
Mais elle s’est surtout appuyée sur la jurisprudence de la CJUE en la matière (notamment « Infopaq » et « Murphy c/ Media Protection») et a notamment relevé que :
– les copies sont enregistrées et supprimées automatiquement en naviguant, par l’écoulement du temps et une utilisation continue du navigateur internet, plutôt que d’être dépendantes d’une intervention humaine discrétionnaire ;
– la restriction de la directive par l’emploi des termes « provisoire » et « transitoire » vise à prévenir le téléchargement ou la copie qui sont permanents, jusqu’à la destruction de l’objet, tels qu’un courriel ;
– l’absence de signification économique indépendante ne signifie pas que la copie n’a pas de valeur mais plutôt qu’elle n’a pas de valeur ajoutée à ce qui provient de la simple transmission/vision du contenu.
La Cour Suprême a également précisé qu’ériger la simple vision d’un contenu, protégé par le droit d’auteur, sans l’autorisation du titulaire des droits (par exemple parce qu’il a été illégalement téléchargé par un tiers), en infraction conduirait à ce que des millions d’internautes ordinaires puissent, sans le savoir, être civilement responsables.
Ainsi, la position de la Cour est claire : l’utilisation des services proposés par MELTWATER ne viole par le droit d’auteur.
Compte tenu de sa jurisprudence antérieure, il est probable que la CJUE réponde également par la négative.
Cette décision à intervenir est en tout état de cause importante, afin que les utilisateurs sachent s’ils ne seront pas coupables d’un acte de contrefaçon par le simple acte de navigation.
A suivre…