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Liberté d’expression : la parole du psychologue ne peut être réduite au silence

22 mai 2025 | Derriennic Associés |

Liberté d’expression : la parole du psychologue ne peut être réduite au silence

Même en tension avec les objectifs institutionnels de l’employeur, la parole critique du salarié – surtout lorsqu’elle touche à l’intérêt d’un mineur en danger – bénéficie d’une forte protection au titre de la liberté d’expression. Nouvelle illustration dans cet arrêt du 6 mai 2025 de la Cour de cassation (Cass. Soc., 6 mai 2025, n°22-24.726), qui prolonge la jurisprudence du 11 octobre 2023 que nous avions déjà commentée

Un licenciement fondé sur une lettre d’alerte adressée par un psychologue à l’ASE

Dans cette affaire, un salarié engagé en qualité de psychologue au sein de la Fondation des Apprentis d’Auteuil, avait adressé, en septembre 2016, une lettre d’alerte à l’autorité de tutelle de son employeur, la direction des solidarités du département, au sujet des conditions d’encadrement d’un jeune confié à l’établissement, dont l’état de santé psychique se dégradait fortement. Le professionnel y exprimait son impuissance clinique et ses inquiétudes éthiques, estimant que les dispositifs institutionnels en place ne suffisaient plus à contenir la situation. Il précisait agir en conscience, à titre personnel et en qualité de psychologue référent.

L’employeur, ayant pris connaissance de cette initiative transmise sans son aval, a considéré cette prise de position critique comme un manquement grave aux obligations contractuelles du salarié et a prononcé son licenciement pour faute grave. Le salarié conteste alors son licenciement devant le Conseil de prud’hommes en invoquant sa liberté d’expression. 

La Cour d’appel exclut la liberté d’expression… à tort

La cour d’appel de Montpellier a validé le licenciement, estimant que la lettre ne constituait pas une simple critique professionnelle mais allait au-delà, en ce qu’elle comportait des jugements excessifs et diffamatoires, portait atteinte à l’honneur de l’employeur, et s’inscrivait en contradiction avec les procédures de communication internes.

Elle reprochait en particulier au salarié :

  • d’avoir omis volontairement de mentionner certaines mesures prises par l’employeur ;
  • d’avoir diffusé son courrier à l’insu de la direction ;
  • d’avoir fait état, de manière brutale et non étayée, d’une inadaptation de la réponse institutionnelle à la gravité de la situation.

La Cour de cassation réaffirme une protection exigeante de la liberté d’expression

La Haute juridiction casse cet arrêt sur le fondement de l’article L. 1121-1 du Code du travail, dans la droite ligne de l’arrêt du 11 octobre 2023 (n° 21-23.71). Elle rappelle qu’un salarié peut critiquer son employeur, y compris devant des tiers, dès lors que ses propos ne sont ni injurieux, ni diffamatoires, ni excessifs.

Elle souligne ici que :

  • la lettre litigieuse visait à signaler un danger pour un mineur et relevait d’une démarche professionnelle de protection ;
  • les propos tenus, bien que critiques, restaient mesurés et motivés par l’intérêt de l’enfant ;
  • en conséquence, le licenciement fondé sur l’exercice non abusif de la liberté d’expression est nul.

Un nouveau jalon pour les lanceurs d’alerte du social et du médico-social ?

Après l’arrêt du 11 octobre 2023 qui avait déjà protégé un salarié critiquant l’absence d’évolution professionnelle dans un courriel interne, cette nouvelle décision vient renforcer la protection de la parole critique des professionnels, surtout lorsqu’elle s’inscrit dans une logique d’intérêt supérieur (ici, celui du mineur en danger).

La Cour de cassation refuse de sanctionner un salarié pour avoir pris ses responsabilités en conscience, même au prix d’un conflit avec l’institution. Un signal fort envoyé aux professionnels du soin, de la psychologie et de la protection de l’enfance, dont la parole ne saurait être muselée dès lors qu’elle est exprimée avec mesure et loyauté.

Cet arrêt confirme une jurisprudence constante et exigeante en matière de liberté d’expression du salarié, y compris dans des contextes hiérarchiques sensibles. La parole du psychologue, lorsqu’elle vise à alerter sur des situations critiques, ne peut être assimilée à une faute grave. Jusqu’où l’institution peut-elle exiger le silence sans compromettre l’éthique des métiers du soin et de la relation ?

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