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Groupe de reclassement : le critère de permutabilité perméable à souhait !

27 novembre 2019 | Derriennic Associés|

Cass. Soc., 16 oct. 2019, n°18-13906 et 23 oct. 2019, n°18-11519

Aux termes de deux arrêts rendus à une semaine d’intervalle, la Cour de cassation apporte des illustrations de l’appréciation du critère de permutabilité du personnel.

Dans la première affaire, une femme de chambre avait été licenciée pour inaptitude. Estimant que les recherches de reclassement n’avaient pas été poursuivies auprès de l’ensemble des entreprises du réseau hôtelier, la salariée saisit le conseil de prud’hommes. En cause d’appel, les magistrats jugent son licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur ne démontrait pas son impossibilité d’assurer une permutation de personnel entre les établissements adhérents au réseau. La société se pourvoit en cassation, arguant notamment du fait que la cour d’appel avait fait peser la charge de la preuve du périmètre de reclassement sur le seul employeur. La Cour de cassation se range à la décision des juges du fond et rejette le pourvoi. Elle juge que l’existence d’un groupe de reclassement a pu valablement être déduite « de l’identité d’activité des membres du réseau dont faisait partie l’employeur, du rapprochement de leur organisation et de la situation géographique de leurs lieux d’exploitation ». Le critère de permutabilité n’est ici aucunement repris par la Cour de cassation, laquelle semble même l’occulter au profit du « service organisé » entre les entreprises du réseau. Une telle omission laisse perplexe. Est-ce à dire qu’en présence d’un réseau d’entreprises, le critère de permutabilité de personnel peut simplement être déduit de l’identité d’activités, d’organisation et de lieux ? Dans une telle hypothèse, la question de la charge de la preuve de la permutabilité du personnel, qui était avancée comme moyen au pourvoi, n’a dès lors plus d’importance. Il ne reste plus en effet à l’employeur qu’à combattre cette « présomption » en apportant la preuve contraire, c’est-à-dire en démontrant l’impossibilité d’assurer une permutation du personnel. Une telle solution n’est pas nouvelle (Cass. soc. 22 sept. 2016 n° 15-13849). Elle n’en appelle pas moins une observation en ce qu’elle prend le contrepied de la jurisprudence rendue en présence d’entreprises franchisées (Cass. soc. 15 mars 2017, n° 15-24392) ou encore en présence d’entreprises adhérentes à un réseau en matière de licenciement économique (Cass. soc. 16 nov. 2016, n°14-30063). Une certaine insécurité juridique plane ainsi sur la tête des employeurs appartenant à un réseau.

Pour autant, l’office des juges du fond n’en reste pas moins rigoureux, notamment dans l’appréhension des autres critères que sont l’identité d’activités, d’organisation et de lieux. Ainsi, dans la seconde affaire du 23 octobre 2019, une salariée ayant fait l’objet d’un licenciement pour motif économique prétendait que son employeur n’avait pas respecté son obligation de reclassement. A ce titre, la salariée visait une autre entreprise qui non seulement était dirigée par le même gérant mais qui, encore, assurait la gestion administrative de son employeur. Déboutée par la cour d’appel, l’intéressée se pourvoit en cassation. La Cour de cassation rappelle déjà qu’en matière de périmètre de reclassement, la preuve est partagée entre l’employeur et le salarié. Sur la base des éléments de preuve rapportés ainsi par les parties, la Cour de cassation rejette le pourvoi et juge que l’identité de direction, c’est-à-dire la présence d’un même gérant, est insuffisante à caractériser la permutabilité du personnel entre les deux sociétés. Ici, le critère de permutation du personnel retrouve son importance.

En fonction des types de licenciement ainsi que de la structure des entités composant le groupe, le critère de permutabilité du personnel prend plus ou moins d’importance aux termes des différentes jurisprudences rendues. Cette insécurité juridique doit encourager à redoubler de vigilance, au besoin par l’intervention d’un audit sur le type de reclassement à déployer dans chaque cas. Une telle incertitude est peut-être toutefois sur le déclin. En effet, les ordonnances du 22 septembre 2017 dites Macron sont venues introduire dans le code du travail le critère de permutation du personnel dans chacun des trois textes relatifs à l’obligation de reclassement, qu’elle résulte d’une inaptitude professionnelle (C. Trav., art. L.1226-10), non professionnelle (C. Trav., art. L.1226-2) ou d’un licenciement économique (C. Trav., art. L.1233-4). Tant les justiciables que les juges ne pourront donc plus, a priori, faire l’économie de ce critère aujourd’hui textuel.