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IBM/MAIF : La cour de cassation rejette la notion de dol ou de réticence dolosive au profit de la recherche d’une volonté de nover de la part La MAIF

04 septembre 2013 | Derriennic Associés |

(Chambre commerciale de la Cour de cassation, 4 juin 2013, IBM/MAIF, n°12-13002)

Lien vers la décision
L’arrêt rendu le 4 juin dernier par la chambre commerciale de la Cour de Cassation semble définitivement écarter la notion de dol et place la novation au cœur des débats.
Cette décision constitue le troisième acte (et sans doute avant-dernier) acte d’une affaire qui défraie la chronique depuis 2009, tant du fait des montants en jeu que de la renommée des parties.
Bref rappel de l’historique procédural de ce contentieux :
Dans le cadre de l’intégration d’un progiciel de gestion, la MAIF avait lancé un premier projet d’intégration par l’éditeur du progiciel (Siebel) qui s’était soldé par un échec. Elle avait alors fait appel à la société IBM France, avec laquelle elle avait signé un contrat daté du 14 décembre 2004 prévoyant la fourniture d’une solution sur la base d’une obligation générale de résultat, en respectant un calendrier impératif et ce pour un prix forfaitaire fixé à 7,3 millions d’euros.
Face aux nombreux retards constatés, la MAIF avait accepté, à la demande d’IBM, une refonte des conditions financières du projet pour un montant conséquent (15 millions d’euros, soit le double du forfait initial), aux termes de deux protocoles d’accord successifs (non transactionnels bien entendu) en date des 30 septembre 2005 et 22 décembre 2005.
Il convient de souligner, pour une meilleure compréhension des débats menés devant la Cour de cassation dans l’arrêt ici commenté, que ces protocoles avaient complété certains aspects du contrat (surtout son prix), sans préciser si les autres éléments dudit contrat devraient pour autant être considérés comme caducs.
Six mois après la signature de ces protocoles, la MAIF résiliait le contrat dans son ensemble, aux torts de son cocontractant, en l’assignant en remboursement des sommes versées et en indemnisation des préjudices qu’elle déclarait avoir subis.
La MAIF fondait notamment sa demande sur la nullité du contrat, qu’elle invoquait pour dol. Elle estimait qu’IBM avait accepté, lors de la signature du contrat, de réaliser la prestation dans les conditions de prix et de délais demandées par la MAIF, pour obtenir le marché, alors même qu’elle savait, dès le début, que ces modalités ne pourraient pas être respectées. En n’informant pas son client de cette impossibilité et en signant le contrat, IBM avait donc fait preuve de réticence dolosive, viciant ainsi le consentement de son cocontractant, ceci emportant absence de rencontre des volontés et donc nullité rétroactive de l’accord (angle d’attaque permettant de demander, outre les dommages-intérêts, la restitution des sommes payées).
♦ Première instance : TGI de Niort, 14 décembre 2009
Sur la base du rapport d’expertise précédemment rendu, le TGI de Niort a fait droit à la demande de la MAIF, considérant qu’IBM avait effectivement manqué à son obligation de conseil et avait volontairement masqué la réalité du projet, en laissant croire à la MAIF qu’elle maîtrisait ce dernier, tout en sous-estimant le calendrier et en sous-évaluant le budget, et ce depuis la formation du contrat, ceci caractérisant un dol au sens de l’article 1116 du Code civil et ouvrant droit à la nullité du contrat.
Le TGI condamna ainsi IBM à restituer à la MAIF la somme de 1,6 millions d’euros au titre des sommes versées et à lui verser par ailleurs 9,5 millions d’euros au titre du préjudice d’exploitation.
En retenant la réticence dolosive d’IBM et en condamnant celle-ci à près de 10 millions d’euros de dédommagements, ce jugement constituait à double titre une « première » en matière de jurisprudence applicable aux contrats d’intégration.
♦ Second degré : Cour d’Appel de Poitiers, 25 novembre 2011
Dans sa décision, la Cour d’appel de Poitiers avait pris le contre-pied du TGI de Niort et écarté le dol, retenant en particulier :
– d’une part, qu’un client tel que la MAIF, qui possède une direction informatique étoffée et qui, pour avoir conduit par le passé de grands projets informatiques, en connaît les aléas, ne peut être considéré comme un profane de l’informatique ;
– d’autre part, que la MAIF avait contractuellement accepté une modification globale des modalités du projet initial en acceptant de signer les protocoles, et qu’elle avait été consciente dès la conclusion du contrat du risque de retard (eu égard à l’échec du même projet avec son précédent prestataire), son consentement n’ayant dès lors pas pu être vicié par le silence dolosif reproché à IBM.
La juridiction d’appel avait par ailleurs relevé les lacunes probatoires de l’intimé (la MAIF), dans la mesure où « il n’est pas établi qu’IBM a dissimulé de surcroît volontairement à la MAIF des informations majeures ».
La Cour d’appel de Poitiers avait alors établi que seules les dispositions des protocoles additionnels pouvaient s’appliquer, écartant ainsi toute restitution et tout dédommagement au profit de la MAIF et condamnant l’assureur, à l’inverse, à verser à IBM plus de 4,6 M d’euros à titre de dommages et intérêts.
♦ Cassation : Chambre commerciale, 4 juin 2013
Dans un premier temps, la chambre commerciale démontre de façon catégorique et semble-t-il peu contestable l’absence de dol dans les faits de l’espèce, rappelant la parfaite connaissance par la MAIF des risques liés à ce projet avant même son démarrage et le premier échec rencontré par le précédent intégrateur. La réticence dolosive d’IBM n’est pas non plus caractérisée, faute de preuve.
Mais surtout, dans cette décision, notamment rendue au visa de l’article 1273 du Code civil, la Cour de cassation mène une analyse non plus sur le terrain de l’existence ou non d’un dol mais sur celui de la novation et de sa preuve.
« Attendu que pour rejeter les demandes indemnitaires présentées par la MAIF contre la société IBM, l’arrêt retient que la MAIF a, à l’occasion de la signature des protocoles des 30 septembre et 22 décembre 2005 qui se sont substitués au contrat d’intégration du 14 décembre 2004, accepté de revoir les engagements initiaux dont elle ne peut donc plus se prévaloir ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans relever d’éléments faisant ressortir que la MAIF ait manifesté, sans équivoque, sa volonté, à l’occasion de la signature des protocoles des 30 septembre et 22 décembre 2005, de substituer purement et simplement aux engagements initiaux convenus par les parties dans le contrat d’intégration du 14 décembre 2004 de nouveaux engagements en lieu et place des premiers, la cour d’appel a privé sa décision de base légale »
Les Hauts Magistrats rappellent ici le principe selon lequell’animus novandi ne se présume pas. Or rien n’établit que la MAIF ait entendu renoncer aux conditions du contrat d’origine en signant les protocoles le complétant, ce qui interdit donc de caractériser une quelconque volonté de nover chez la MAIF.
Contrairement à ce qu’avait établi la Cour d’appel de Poitiers, les dispositions du contrat d’origine et des protocoles successifs ont toutes vocation à s’appliquer et devront donc être analysées comme un ensemble contractuel unique, exercice sans doute assez délicat, qui reviendra à la Cour d’appel de Bordeaux.
Dans la pratique, cette décision doit d’ores et déjà attirer l’attention des juristes amenés à rédiger un document contractuel impactant un contrat initial (avenant, protocole modificatif ou complémentaire, etc.) sur l’importance d’y exprimer très clairement l’articulation de son contenu avec les dispositions du contrat d’origine, pour lever toute ambigüité sur le caractère novant ou non de ses dispositions.