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Droit Social – Lettre d’actualité Septembre 2019

08 septembre 2019 | Derriennic Associés |

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Précautions sur la rupture conventionnelle : qui donne doit recevoir !

Cass. Soc. 3 juillet 2019, n°18-14414, FS-PB 

La Cour de cassation fait preuve d’un formalisme sévère : l’employeur doit être en mesure de pouvoir démontrer avoir effectivement remis un exemplaire de la rupture conventionnelle au salarié, à défaut celle-ci encourt la nullité.

En l’espèce, un salarié souhaitant se consacrer à « d’autres projets professionnels » sollicite son employeur pour conclure une rupture conventionnelle. Le formulaire Cerfa est établi et la rupture conventionnelle homologuée par la Direccte. 

Quelques mois plus tard, il saisit le conseil de prud’hommes en indiquant ne pas avoir été rendu destinataire d’un exemplaire de la convention de rupture et sollicite en conséquence qu’elle soit déclarée nulle. La juridiction prud’homale, qui accueille sa demande, est censurée par la Cour d’appel d’Angers. La question posée à la Cour de cassation était de savoir si le formulaire Cerfa, qui indique être établi en deux exemplaires et porte la mention manuscrite « lu et approuvé » ainsi que la signature de chaque partie, permet de présumer de la remise au salarié d’un exemplaire de la rupture conventionnelle. 

La Cour de cassation rejette toute présomption et juge qu’il appartient à l’employeur de rapporter la preuve qu’un exemplaire de la convention de rupture a bien été remis au salarié. A défaut, celle-ci encourt la nullité.

Il est donc impératif de se ménager la preuve de la remise effective au salarié d’un exemplaire de la rupture conventionnelle. Les trois exemplaires originaux (un pour chaque partie ainsi qu’un exemplaire pour la Direccte) ne suffisent pas. La Cour de cassation ne donne aucune indication sur le mode de preuve. Il faut en déduire qu’il est libre sous réserve d’être loyal. La preuve pourra ainsi être rapportée par un courrier signé du salarié et attestant de la remise en main propre d’un exemplaire original de la convention de rupture. A défaut, la preuve pourrait encore être rapportée par témoin au moyen des personnes assistant les parties durant l’entretien de rupture conventionnelle. 

En l’absence d’une telle preuve, les sanctions peuvent être lourdes puisque la rupture s’analyse en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pire, si le salarié bénéficiait d’une protection particulière (accident du travail, maternité ou mandat représentatif), la rupture s’analyserait alors en licenciement nul avec le risque de réintégration ou, à défaut, d’indemnisation. Dans cette dernière hypothèse, notons que le barème des indemnités prud’homales ne s’applique plus. 

Ainsi et quand bien même la demande initiale viendrait du salarié, l’employeur qui se retrouve incapable de prouver avoir remis à ce dernier un exemplaire de la rupture conventionnelle s’expose à voir jugée nulle celle-ci et être condamné aux indemnités subséquentes.

Eu égard au formalisme désormais sévère en matière de rupture conventionnelle, il est donc conseillé de s’assurer que toutes les mentions requises sont présentes mais encore que l’exemplaire original destiné au salarié lui ait bien été remis en main propre contre décharge. A défaut, l’entreprise s’expose à un risque prud’homal certain dans les douze mois suivant l’homologation de la convention.

 

Le licenciement d’une ingénieure informatique refusant d’ôter son voile à la demande d’un client est annulé en l’absence d’une obligation de neutralité prévue dans le règlement intérieur. 

CA Versailles 18-4-2019 n° 18/02189, B. c/ Sté Micropole

Cet arrêt est l’aboutissement d’une longue procédure judiciaire qui a vu intervenir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour de cassation. 

À l’appui de ce licenciement, l’employeur invoquait une règle de discrétion orale en vigueur dans l’entreprise. L’ingénieure a contesté son licenciement en justice. Les prud’hommes, puis la cour d’appel, l’avaient validé, le jugeant fondé « sur une cause réelle et sérieuse »

La Cour de cassation, après avoir interrogé la CJUE, a censuré l’arrêt de la cour d’appel de Paris au motif que, faute d’obligation de neutralité prévue dans le règlement intérieur, le licenciement d’une salariée motivé par son refus d’ôter son voile lors de ses contacts avec la clientèle est discriminatoire.

En effet, il résulte des arrêts de la CJUE et de la Cour de cassation qu’une règle interne peut imposer aux salariés une obligation de neutralité générale leur interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux, à condition :

  • d’être prévue dans le règlement intérieur ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que celui-ci ;
  • d’être générale et indifférenciée ;
  • de n’être appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients.

Saisie du renvoi après cassation la cour d’appel de Versailles se conforme aux enseignements de la CJUE et de la Cour de cassation et annule le licenciement jugé discriminatoire.

L’employeur faisait valoir qu’il existait bien dans l’entreprise une telle obligation de neutralité, sous forme de règle non écrite. La cour d’appel indique qu’une telle règle ne remplit pas les conditions posées par la jurisprudence, car elle doit être inscrite dans le règlement intérieur.

En outre, l’employeur n’allègue qu’une obligation de neutralité au regard de l’expression des convictions religieuses.  Or, selon la Cour d’Appel de Versailles, même si la règle invoquée ne fait aucune distinction entre les différentes confessions, croyances ou pratiques religieuses, une règle ayant pour seul objet d’encadrer le fait religieux n’opère pas de traitement identique de tous les travailleurs de l’entreprise.

Une telle règle constitue donc une discrimination directe fondée sur la religion.

Enfin, dans cette affaire, l’employeur ne justifie ni de l’existence de la règle 

non écrite qu’il invoque, ni du fait que cette règle ait été opposée à d’autres salariés. L’interdiction du port de signes religieux résultait seulement d’un ordre oral adressé à une seule salariée et visant un signe religieux déterminé. 

Le licenciement de la salariée motivé par l’expression de ses convictions religieuses est donc annulé.

Le règlement intérieur (ou de la note de service) devient le support exclusif de l’instauration d’une politique de neutralité « contraignante » au sein de l’entreprise. Une clause de neutralité ne sera en effet opposable aux salariés qu’à la condition 

première d’y avoir été valablement inscrite.

Par ailleurs, il conviendra de veiller à la rédaction de la clause, laquelle ne devra pas viser uniquement l’expression des convictions religieuses, mais également les convictions politiques et philosophiques pour remplir la condition de généralité.

Il ressort également de l’arrêt de la Cour de cassation précité, qu’en cas de refus du salarié de se conformer à une telle clause, l’employeur sera tenu de chercher à le reclasser dans un poste n’impliquant pas de contact visuel avec le client, avant d’envisager de le licencier.

 

La résiliation de la mission confiée à l’employeur par son client ne permet pas de rompre le CDI de chantier.

Cass. Soc. 9 mai 2019 n°17-27.493

Pour la Chambre sociale de la Cour de Cassation, la résiliation de la mission confiée à l’employeur par son client ne saurait constituer la fin de chantier permettant de justifier la rupture du contrat de travail.

La particularité du contrat de chantier est de permettre l’embauche d’un salarié, par contrat à durée indéterminée, pour la réalisation d’un ouvrage ou de travaux précis pour une durée ne pouvant être définie préalablement avec certitude. 

Le recours à ce type de contrat peut être prévu par accord ou convention de branche étendu, ou dans les secteurs où son usage est habituel et conforme à l’exercice régulier de la profession qui y recours. A la fin du chantier ou de l’opération, l’employeur peut procéder au licenciement du salarié pour motif personnel (article L.1236-8 du Code du travail).

Une incertitude demeurait jusqu’à présent sur le régime applicable à la rupture du contrat de travail dans l’hypothèse de la fin anticipée ou la non réalisation du chantier.

Au cas d’espèce, un salarié avait été embauché en qualité d’ingénieur consultant international par la société Louis Berger. En application de la Convention collective duite SYNTEC, les parties ont conclu le 2 janvier 2012 un CDI de chantier d’une durée initiale d’un an, renouvelé le 4 avril 2012 pour une année supplémentaire, soit jusqu’au 31 décembre 2014. La mission du salarié consistait à assister la société cliente, Fluor, qui réalisait un  projet d’exploitation minière en Guinée. Le contrat de travail indiquait précisément que « si le client de la société venait à résilier ou suspendre son contrat, l’engagement deviendrait sans objet et pourrait être rompu ». Le 3 janvier 2013, la société cliente a mis fin au contrat d’assistance confié à la société Louis Berger et celle-ci a, en conséquence, licencié le salarié en raison de la fin de la mission confiée, conformément aux termes du CDI de chantier. Le salarié a contesté ce licenciement en faisant essentiellement valoir que la rupture du contrat d’assistance par la société cliente ne constitue pas une fin de chantier, la mission (ou le chantier) n’étant pas terminée. 

Le salarié a été débouté par les juges du fond, la Cour d’Appel considérant que le client avait signifié à l’employeur le terme de sa mission et sa volonté que le personnel ait quitté les locaux au 1er février 2013, la fin de la mission de l’employeur entrainait l’achèvement du contrat de chantier en application de l’article L.1236-8 du Code du travail. 

La question posée à la Cour de Cassation ne manque pas de pertinence et se pose fréquemment en pratique:  la rupture du contrat par le client peut-elle s’assimiler à une fin de chantier dans la mesure où l’employeur n’est plus en mesure de confier au salarié la tâche prévue par le contrat de chantier ? La Cour de Cassation répond par la négative, décidant que « la résiliation de la mission confiée à l’employeur par son client ne saurait constituer la fin de chantier permettant de justifier la rupture du contrat de travail » 

De cet arrêt, il résulte que ne doivent pas être confondues la fin de la mission de l’employeur auprès de son client et la fin du chantier, seule cette dernière autorisant la rupture du contrat de chantier.

Ainsi, le retrait prématuré du chantier par le client n’autorise pas l’employeur à licencier pour fin de chantier le salarié, même en présence d’une clause du contrat de travail prévoyant expressément cette possibilité.

Cet arrêt rendu sous l’empire des textes applicables avant l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 est transposable au nouveau CDI de chantier issue des 

Ordonnances Macron, puisque le contrat de travail autorise la rupture du contrat « à la fin du chantier ou une fois l’opération réalisée.

Si l’employeur ne peut invoquer la fin du chantier comme motif personnel de licenciement, il pourrait toutefois être envisagé un éventuel motif économique à l’appui du licenciement. Par ailleurs, la solution dégagée par la Cour de Cassation pourrait être remise 

en cause dans le cadre de la négociation par les branches professionnelles, lesquelles sont autorisées, depuis le 24 septembre 2017, à négocier les modalités de rupture du contrat de chantier en cas de fin anticipée du contrat de prestation et de non réalisation du chantier.

 

Pas de présomption généralisée des différences de traitement entre salariés resultant d’un accord collectif.

(Cass. Civ. 1er, 03 avril 2019, n°17-11.970, F+P+B+R+I)

La Cour de cassation précise la portée de sa jurisprudence sur la présomption de justification des différences de traitement résultant d’accords collectifs en écartant toute possibilité de généralisation de cette présomption.

En l’espèce, une salariée est affectée à un poste de coordinatrice gestion achats sur le site de Saint-Lô au sein de la caisse régionale du crédit agricole à partir du 27 août 2012. Ce site ainsi que celui d’Alençon sont regroupés à Caen en 2014. Est alors apparue une différence de traitement entre les salariés de l’ancien site de Saint-Lô : ceux affectés avant le 1er juin 2011 ont bénéficié de mesures d’accompagnement des mobilités géographiques et fonctionnelles en raison d’un accord signé le 5 juillet 2013, tandis que ceux ayant moins d’ancienneté sur le site, à l’instar de la requérante, s’en sont trouvés privés.

Pour celle-ci, il s’agissait alors de faire reconnaître une rupture de l’égalité de traitement et de bénéficier desdites mesures.

Pour la cour de cassation, d’une part, la reconnaissance d’une présomption générale de justification de toutes différences de traitement entre les salariés dès lors qu’elles ressortent de conventions ou d’accords collectifs, serait contraire au Droit de l’Union européenne quand il s’applique. En effet, une telle présomption fait reposer sur le seul salarié la charge de la preuve de l’atteinte au principe d’égalité alors qu’un accord collectif n’est pas en soi de nature à justifier une différence de traitement.

D’autre part, une telle présomption se trouverait privée d’effet dans la mesure où les règles de preuve propres au droit de l’Union viendraient à s’appliquer.

Partant, la généralisation d’une présomption de justification par les conventions ou accords collectifs de toutes différences de traitement ne peut qu’être écartée.

Pour rappel, le droit de l’Union européenne prohibe les discriminations fondées sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. La Cour de justice européenne affirme que le principe de non-discrimination est l’expression spécifique du principe d’égalité, principe général du droit de l’Union européenne. En vertu de ce principe général, il est interdit au juge national d’instaurer une présomption de justification tirée d’un accord collectif.

En France, si cette présomption est admise s’agissant des différences de traitement opérées par voie d’accord collectif, c’est en raison de l’habilitation constitutionnelle donnée aux représentants des salariés (8e alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946) et de la délégation législative par laquelle les conventions collectives peuvent préciser les modalités concrètes d’application des principes fondamentaux du droit du travail (article34 de la Constitution). Ainsi, les partenaires sociaux ne peuvent avoir plus de latitude que le législateur concernant les dérogations au principe d’égalité de traitement.

Par cette décision, la cour de cassation indique, implicitement, que sa jurisprudence ne peut être interprétée comme ayant institué de manière générale un effet justificatif à toute différence de traitement résultant d’un accord collectif. Elle est également dans la lignée de la tendance actuelle de la jurisprudence de la Cour de cassation qui circonscrit avec précision les situations dans lesquelles des salariés sont considérés comme étant placés dans une situation identique au regard d’un avantage.