CONTACT

Hôpital de la Pitié-Salpêtrière : le tweet du ministre de l’intérieur n’est pas une « fake news »

17 juin 2019 | Derriennic Associés |

 

TGI de Paris, jugement du 17 mai 2019

Deux parlementaires ont assigné en référé la SAS Twitter France aux fins de l’enjoindre de retirer un tweet posté par le ministre de l’Intérieur, sur le fondement de l’article L163-2 du Code électoral.

Le 1er mai 2019, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a posté un tweet indiquant que l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière avait été attaqué et que son personnel soignant avait été agressé.

Deux députés ont saisi le juge des référés du TGI de Paris afin que celui-ci enjoigne Twitter France de retirer le tweet, au motif que celui-ci constituerait une allégation ou imputation répondant aux conditions de l’article L163-2 du Code électoral. Cet article a été créé par la Loi n°2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la manipulation de l’information, visant à lutter contre la manipulation de l’information à l’heure numérique et à endiguer la diffusion de fausses informations pendant les périodes de campagne électorale (dite « loi anti-fake news »).

Afin de répondre aux conditions dudit article, les allégations ou imputations en cause doivent réunir les conditions suivantes, de façon cumulative :

  • être inexactes ou trompeuses (1.) ;
  • être diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne (2.) ;
  • intervenir dans les 3 mois précédant le premier jour du mois d’élections générales et concerner un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir (3.).

1. Le juge des référés relève que, si des manifestants se sont bien réfugiés dans l’hôpital, l’hôpital n’a pas fait l’objet d’une attaque et le personnel n’a pas été agressé.

Toutefois, de façon surprenante, le juge des référés va écarter la première condition en déduisant du fait que l’information n’étant pas dénuée de tout lien avec des faits réels (il est bien question de manifestants et d’un hôpital), elle ne saurait être manifestement inexacte ou trompeuse.

« De toutes les pièces produites par les parties, il ressort que si le message rédigé par Monsieur Christophe Castaner apparaît exagéré en ce qu’il évoque le terme d’attaque et de blessures, cette exagération porte sur des faits qui, eux, sont réels, à savoir l’intrusion de manifestants dans l’enceinte de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière le 1er mai 2019.

L’information n’étant pas dénuée de tout lien avec des faits réels, la condition selon laquelle l’allégation doit être manifestement inexacte ou trompeuse n’est pas remplie. »

2. S’agissant du second critère, le juge indique : «  le caractère artificiel ou automatisé de la diffusion renvoie, selon les travaux parlementaires, et notamment l’exposé des motifs de la proposition de loi ayant abouti à l’adoption de l’article L.163-2 du code électoral, aux contenus sponsorisés- par le paiement de tiers chargés d’étendre artificiellement la diffusion de l’information – et aux contenus promus au moyen d’outils automatisés – par le recours à des « bots ».»

Le juge, pour écarter la présence de ce critère, relève « l’absence de tout élément démontrant l’utilisation de tels procédés de diffusion artificielle ou automatisée du tweet litigieux ».

3. Enfin, sur le point de savoir si le tweet concerne des faits de nature à altérer la sincérité du scrutin, le juge relève, de façon là encore originale, que les contestations émises par les tiers ont permis à chaque électeur de se faire une opinion éclairée, sans risque manifeste de manipulation :

«  si le tweet a pu employer des termes exagérés, comme cela vient d’être évoqué, il n’a pas occulté le débat, puisqu’il a été immédiatement contesté, que de nombreux articles de presse écrite ou Internet ont indiqué que les faits ne se sont pas déroulés de la manière dont l’exposait Monsieur Christophe Castaner et que des versions différentes ont surgi, permettant ainsi à chaque électeur de se faire une opinion éclairée, sans risque manifeste de manipulation. »

En conséquence, le TGI de Paris n’a pas fait droit à la demande de retrait du tweet.

Voir la décision : https://www.legalis.net/jurisprudences/tgi-de-paris-jugement-du-17-mai-2019/