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IA et brevets : l’intelligence artificielle peut-elle être inventeur ?

06 décembre 2021 | Derriennic Associés|

A l’origine de ce débat…

Il y a bien sûr le développement croissant de l’intelligence artificielle et des opportunités économiques et technologiques associées. Les règlementations existantes, en particulier le droit des brevets, doivent-elles être repensées ? Les autorités souhaitent inciter le développement de l’IA et de l’innovation tout en continuant la promotion de la créativité et l’innovation humaine, de sorte que le débat reste ouvert[1].

… Il y a également le projet Dabus, initié par Stephen Thaler, scientifique de l’université du Missouri, et créateur d’un système d’intelligence artificielle dénommé DABUS (« Device for the Autonomous Bootstrapping of Unified Sentience »). Ce système d’IA est à l’origine de plusieurs innovations (balise lumineuse pouvant être utilisées dans des opérations de sauvetage, et récipient pour boissons basé sur la géométrie fractale), Stephen Thaler a donc déposé plusieurs demandes de brevets auprès des principaux offices de protection des brevets. La spécificité de sa démarche réside dans l’indication, dans ses demandes, de l’IA Dabus comme « inventeur », son nom n’apparaissant qu’en qualité de « déposant », propriétaire de l’IA.

Dans l’ensemble, ces demandes ont été rejetés par les différents offices de protection au motif que l’inventeur désigné dans la demande devait être un être humain et non une machine.

L’office européen des brevets (OEB) a été le premier à refuser l’attribution du brevet par deux décisions du 27 janvier 2020, suivi par les offices australien, britannique (IPO) et américain (UPSO). Des recours en justice ont systématiquement été déposés contre ces décisions administratives.

Ce semblant d’unité internationale a dernièrement volé en éclat.

  • Le premier pays à avoir accepté de délivrer un brevet mentionnant une IA comme inventeur est l’Afrique du Sud (décision administrative de la Commission sud-africaine des entreprises et de la propriété du 28 juillet 2021).
  • Elle a été, quelques jours plus tard, suivie de l’Australie, où a été rendue, le 30 juillet 2021, la première décision judiciaire autorisant le dépôt d’un brevet pour une invention créée par une IA, dépourvue de personnalité juridique. La Cour a précisé que ceci allait dans le sens de la promotion de ces technologies.

La Cour fédérale d’Australie a considéré qu’il n’existait aucune disposition spécifique dans l’Australian Patent Act empêchant la désignation d’une IA comme inventeur puisque :

  • il convient de distinguer les notions de titulaire de brevet, inventeur, propriétaire et utilisateur ;
  • la règlementation ne définit pas le terme d’inventeur ;
  • contrairement au droit d’auteur, aucun aspect spécifique du droit des brevets n’implique l’exigence d’un inventeur personne physique.

La Cour a également considéré que le professeur Thaler pouvait être considéré comme titulaire du brevet, puisqu’il détenait le titre sur l’invention directement de l’inventeur, en raison de sa possession de l’IA Dabus, de sa titularité des droits d’auteur sur le code source de l’IA Dabus, et de sa propriété et possession de l’ordinateur sur lequel l’IA est installée. Le professeur Thaler, en tant que propriétaire et contrôleur de l’IA, serait ainsi propriétaire de l’ensemble des inventions réalisées par Dabus.

D’autres décisions de justice commencent à être rendues :

  • aux Etats Unis, le 2 septembre 2021 la Cour du District Est de l’Etat de Virginie a confirmé la décision de l’office américain des brevets, considérant qu’une IA ne pouvait pas être qualifiée d’inventeur au sens du droit des brevets, ce privilège étant réservé aux personnes. Le magistrat a notamment relevé que les IA ne sont, pour le moment, pas en mesure d’inventer quelque chose sans intervention humaine. Il n’exclut cependant pas que cela soit le cas à l’avenir : « Avec l’évolution de la technologie, il se peut qu’un jour l’intelligence artificielle atteigne un niveau de sophistication tel qu’elle puisse répondre aux définitions acceptées de l’invention. Mais ce moment n’est pas encore arrivé et, si c’est le cas, il appartiendra au Congrès de décider comment, le cas échéant, il souhaite étendre la portée du droit des brevets…». Un appel a été interjeté.
  • au Royaume-Uni, la Cour d’appel a rendu une décision similaire le 21 septembre 2021, au motif que seule une personne peut avoir des droits non une machine.

Nul doute que d’autres décisions devraient être rendues, alimentera le débat, dans l’attente d’une adaptation des règlementations. Les autorités législatives et règlementaires s’emparent de cette question. Une consultation publique a ainsi été lancée sur ce sujet au Royaume-Uni. Une initiative similaire pourrait être menée en Europe, dans le prolongement de la résolution du 20 octobre 2020 du Parlement européen.

[1] Le Parlement européen, dans une résolution du 20 octobre 2020 sur les droits de propriété intellectuelle, insistait déjà sur la différence entre les « créations humaines assistées par l’IA » et les « créations générées par l’IA, ces dernières posant de nouvelles difficultés réglementaires en ce qui concerne la protection des DPI, par exemple sur les aspects de propriété, de qualité d’inventeur et de rémunération appropriée, ainsi que des problèmes liés à une possible concentration du marché ».