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Avis du Conseil Supérieur de la Magistrature du 29 avril 2014 sur la menace de sanction pour un magistrat ayant twitté à l’audience.

03 juin 2014 | Derriennic Associés |

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a proposé, le 29 avril 2014, le « déplacement d’office » d’un vice-procureur qui avait commenté sur le réseau social « Twitter », sous le pseudonyme « @Proc_Gascogne », les débats de manière déplacée alors qu’il siégeait aux assises des Landes à la fin de l’année 2012.

En novembre 2012, un journaliste du quotidien Sud Ouest avait révélé que deux magistrats, l’avocat général et un assesseur, avaient échangé des messages sur le réseau social lors d’un procès devant la cour d’assises des Landes.

Quelques exemples des propos échangés illustrent leur nature :

• « Question de jurisprudence: un assesseur exaspéré qui étrangle sa présidente, ça vaut combien? » avait démarré l’assesseur, dont le compte était @Bip_Ed (fermé depuis).
• « Je te renvoie l’ascenseur en cas de meurtre de la directrice du greffe« , avait répondu, plus tard, l’avocat général, dont le compte était @Proc_Gascogne (également fermé).
• « Bon, ça y est, j’ai fait pleurer le témoin«
• « On a le droit de gifler un témoin? » avait-il poursuivi, puis: « Bon, ça y est, j’ai fait pleurer le témoin… #Oranginarouge« .
L’enquête montrera qu’un témoin du procès avait effectivement pleuré lors de son audition.

Au total, une vingtaine de messages avaient été ainsi échangés. Une fois l’affaire révélée publiquement, le parquet général de Pau avait fait appel du verdict du procès. L’enquête de l’Inspection générale des services judiciaires devait montrer que l’avocat général avait bien twitté en pleine audience, ce qu’il a reconnu, mais pas l’assesseur.

« L’usage des réseaux sociaux pendant ou à l’occasion d’une audience est à l’évidence incompatible avec les devoirs de l’état d’un magistrat« , ont estimé les membres de la formation disciplinaire du CSM compétente pour les magistrats du parquet.

Pendant l’audience disciplinaire, le magistrat a expliqué qu’il concevait sa pratique de Twitter comme « un moyen de faire connaitre la justice de l’intérieur » et de « faire connaître les états d’âme des magistrats » et que les échanges critiqués ne portaient que sur « quelques minutes d’attention sur la journée », ils avaient eu lieu à des moments où « il n’y a pas lieu d’être attentif par exemple quand un témoin arrive à la barre ». Il a toutefois admis que ces messages s’ils relevaient d’un « humour décalé » avaient pu choquer. Il a indiqué que « le caractère public lui avait un peu échappé ».

Le CSM livre cependant dans son avis des attendus d’une rare sévérité à l’encontre du magistrat dont le comportement a «gravement porté atteinte à l’autorité et au crédit de l’autorité judiciaire ».

Le CSM estime que ce comportement « relève d’un cynisme singulier particulièrement indigne de la part d’un magistrat », en violation d’un serment professionnel qui impose à qui le prête «Dignité » et « Délicatesse ».

Toujours à suivre son avis, « l’invocation d’une pratique d’humour sur les réseaux sociaux pour justifier ces messages est particulièrement inappropriée s’agissant d’une audience, en l’espèce de la cour d’assises ».

« Le fait, pour [le magistrat], d’avoir, avant et pendant une audience d’assises, échangé des messages sur un réseau social caractérise un manquement aux devoirs de dignité, de discrétion, de réserve et de prudence ».

De plus, le prétendu anonymat qu’apporteraient certains réseaux sociaux « ne saurait affranchir le magistrat des devoirs de son état, en particulier de son obligation de réserve, gage pour les justiciables de son impartialité et de sa neutralité notamment durant le déroulement du procès ».

Ces échanges pendant une audience d’assises caractérisent un manquement aux devoirs du magistrat d’autant plus grave que ces messages étaient susceptibles d’être lus en temps réel, par des personnes extérieures à l’institution judiciaire.

• Ce comportement constitue également un « manquement au devoir de sérieux et de professionnalisme ».
• Ce comportement a donné l’image d’une « désinvolture à l’audience » et a gravement porté atteinte « à l’autorité et au crédit de l’institution judiciaire ».
• Le magistrat a manqué à son devoir de neutralité et d’impartialité laissant apparaître un « lien de connivence » avec l’assesseur de la cour d’assises, ce qui a conduit le ministère public à interjeter appel de la décision de la cour d’assises qui avait, le 23 novembre 2012, condamné le prévenu à 10 ans de réclusion criminelle.
La portée de cet avis :

Il appartient au garde des Sceaux de mettre ou non à exécution cette sanction disciplinaire. Le ministre devrait suivre l’avis de la formation disciplinaire du CSM, présidée par le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, et compétente à l’égard des magistrats du parquet.

Pour l’avocat du magistrat, Me Peltier, « c’est une décision très sévère », qui induit « de lourdes conséquences personnelles pour l’intéressé ».