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Première application de la loi Informatique et Liberté au service de suggestion de Google « Google Suggest »

18 mai 2014 | Derriennic Associés|

M. X. / Google Inc., Google France

Un galeriste parisien a découvert a découvert que son nom était associé à des mots-clés à connotation péjorative – au sujet de sa condamnation pénale – dans la fonctionnalité du logiciel Google Suggest et dans l’espace de « recherche associée » du moteur de recherche. Il a alors demandé à Google de supprimer les suggestions négatives qui apparaissaient quand un internaute inscrivait son nom dans la barre de requêtes du moteur de recherche.  Il invoquait le droit à s’opposer à ce qu’un traitement de ses données personnelles soit effectué sans son accord.

Google a refusé de faire droit à la demande de suppression en avançant deux points :

  • l’absence de contrôle de sa part sur les mots-clés, générés automatiquement à partir des requêtes des utilisateurs ;
  • la liberté de l’information inscrite dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Le galeriste a alors assigné la société Google en justice. Le TGI de Paris dans une ordonnance de référé du 14 avril 2008, considérant que la loi française informatique et libertés du 6 janvier 1978 n’était pas applicable à la société Google, a débouté le demandeur de son action. Le TGI a écarté la loi informatique et libertés pour deux motifs :

  • le galeriste ne démontre pas que la société Google Inc. est établie en France ou utilise pour l’archivage litigieux les moyens, matériels ou humains, de la société Google France, ou de toute autre entité située sur le territoire français, autrement qu’à des fins de transit
  • le trouble qu’elle invoque n’apparaît pas manifestement illicite dans la mesure où l’accès au contenu des messages archivés, ne porte pas, par leur contenu, atteinte à la vie privée de l’intéressée.

Par conséquent, le droit invoqué à indemnisation est sérieusement contestable, et il n’y a par conséquent lieu à référé.

C’est donc dans ce contexte que le demandeur a engagé une action au fond devant le tribunal de commerce.

Dans celle-ci, non seulement le tribunal de commerce de Paris considère que cette loi française s’applique au moteur de recherche édité par la société américaine Google Inc. mais il estime aussi qu’il s’agit d’un traitement de données personnelles. Considérant que la personne avait des motifs légitimes pour s’opposer au traitement de ses données dans cet outil, le tribunal a ordonné à Google de supprimer les suggestions litigieuses.

Pour ce faire, le tribunal a tout d’abord affirmé que la loi Informatique et libertés est applicable aux faits de l’espèce, remettant ainsi en cause le raisonnement du TGI de Paris dans son ordonnance de référé du 14 avril 2008.

Pour ce faire, il a déterminé que les outils « Google Suggest » et «Recherches associées », en combinant les termes litigieux, constituent bien un traitement de données à caractère personnel, pour plusieurs motifs :

  • il s’agit d’une communication par transmission et d’une diffusion de ces données aux sens prévus par la loi ;
  • l’article 2 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 dispose qu’elle s’applique « aux traitements automatisés de données à caractère personnel (…) » ;
  • ces données étant définies par cet article comme « toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres ».
  •  

Les conditions sont en l’espèce bien remplies : il y a bien communication par transmission et diffusion de données relatives au passé pénal du galeriste, et ce par traitement automatisé.

De plus, le Tribunal vient préciser qu’il n’est pas nécessaire que les fonctionnalités en cause puissent être génératrices d’un fichier, puisque cela n’est pas requis par la loi. Le tribunal a également rejeté l’argument selon lequel Google ne serait pas responsable du traitement car l’affichage des mots-clés correspond à un processus automatique. Le moteur de recherche invoque également l’article 3 qui prévoit que le responsable du traitement est celui qui détermine sa finalité et ses moyens. Or les juges considèrent que Google a bien élaboré l’algorithme, et qu’il a donc il déterminé les finalités et moyens du traitement.

Les juges ont par ailleurs estimé que la loi Informatique et libertés s’applique à Google Inc., éditeur du moteur de recherche, en vertu de son article 5 qui prévoit que si le responsable du traitement n’est pas établi en France, cette loi peut lui être opposée dans le cas où il a « recours à des moyens de traitement situés sur le territoire français ».

Plus précisément, il explique « que la notion de « moyens » doit être interprétée dans un sens large, et ne saurait se limiter à la seule présence de serveurs ; Qu’ainsi l’Avis 1/2008 du groupe de travail ‘’article 29’’ sur la protection des données adopté le 4 avril 2008, précise que la notion de moyens s’entend de tous moyens, automatisés ou non, utilisés sur le territoire d’un Etat membre, à des fins de traitement de données à caractère personnel, tel par exemple des cookies et autre logiciel similaire, ces cookies utilisant les ordinateurs des utilisateurs ». La loi française est donc parfaitement applicable en l’espèce.

Restait à savoir si le galeriste pouvait s’opposer au traitement par Google des données le concernant. En effet, l’article 38 de la loi soumet ce droit à l’existence de motifs légitimes. Sur ce point, le tribunal a estimé que la connotation négative de la suggestion en cause, qui renvoie au passé pénal de la personne, nuit à sa réputation et à son activité professionnelle.

Enfin, le tribunal a considéré que Google applique des règles strictes s’agissant des mots-clés se rapportant à des contenus pornographiques violents ou incitant à la haine, et que la correction de cette fonctionnalité était donc possible.

Il a donc été ordonné à Google de supprimer les suggestions litigieuses proposées par Google Suggest lors de la saisie du nom du demandeur à l’action.

Google a cependant fait appel de la décision. A suivre donc…

Lien vers la décision