(CJUE 27 mars 2014 UPC TELEKABEL c/ Constantin Film et autres)
La décision
La CJUE a rendu sa décision dans l’affaire UPC c/ Constantin Film, en adoptant une position quelque peu différente de celle de l’avocat général.
Pour rappel, le litige opposait deux sociétés de production autrichiennes à un fournisseur d’accès à internet autrichien. Les sociétés de production s’étaient aperçues que leurs films pouvaient, sans leur consentement, être visionnés voire téléchargés à partir du site internet « kino.to ». Lesdites sociétés ont alors choisi de demander en référé l’interdiction à UPC – important fournisseur d’accès à Internet établi en Autriche – de fournir à ses clients l’accès au site internet litigieux. La juridiction autrichienne de première instance a accueilli cette demande sans indication des mesures concrètes à prendre à cet effet. UPC a formé un recours contre cette décision considérant qu’une telle injonction ne pouvait lui être faite dans la mesure où : il n’entretenait pas de relations commerciales avec l’exploitant du site internet kino.to, il n’était pas établi que ses clients aient agit illégalement, les mesures de blocage ordonnées pouvaient en tout état de cause être contournées et certaines d’entre elles étaient excessivement coûteuses. La Cour suprême autrichienne saisie du recours s’est alors tournée vers la CJUE en interprétation de la directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects des droits d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Ce texte prévoit la possibilité pour les titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins de demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à leurs droits. La CJUE était plus précisément interrogée sur deux points : (i) savoir si le fournisseur d’accès qui permet aux utilisateurs d’un site illicite d’accéder à Internet doit être considéré comme un intermédiaire au sens de la directive précitée (UPC considérant qu’elle ne pouvait être qualifiée d’un tel intermédiaire) ; (ii) quels sont les exigences du droit de l’Union s’agissant des modalités d’une ordonnance enjoignant un FAI de bloquer l’accès à un site internet illicite : il s’agissait de savoir si les droits fondamentaux reconnus par le droit de l’Union s’opposent à une telle injonction lorsque celle-ci ne précise pas quelles mesures le FAI doit prendre et que ce dernier peut échapper aux astreintes visant à réprimer la violation de ladite injonction en prouvant qu’il a pris toutes les mesures raisonnables.
Sur le premier point, la CJUE a rejoint l’avis de l’avocat général. Elle a jugé qu’une personne qui met à la disposition du public sur un site internet des objets protégés sans l’accord du titulaire de ces droits utilise les services de l’entreprise qui fournit l’accès à Internet aux personnes consultant ces objets. Les juges ont en ainsi déduit qu’un FAI, tel que UPC, qui permet à ses clients d’accéder à des objets protégés mis à la disposition du public par un tiers est un intermédiaire dont les services sont utilisés pour porter atteinte à un droit d’auteur. A cet égard, la Cour a précisé que la directive relative au droit d’auteur n’exige pas l’existence d’une relation particulière entre le contrefacteur et l’intermédiaire pouvant faire l’objet d’une telle injonction (il importe donc peu que l’éditeur du site soit ou non abonné du FAI) ; ni que les clients du FAI consultent effectivement les objets accessibles sur le site internet du tiers : la directive exige que les mesures que les Etats membres ont l’obligation de prendre afin de se conformer à celle-ci doivent non seulement avoir pour objectif de faire cesser les atteintes portées au droit d’auteur ou aux droits voisins, mais aussi de les prévenir.
Sur le second point, la CJUE a d’abord rappelé que les modalités de telles injonctions relèvent du droit national, mais a également souligné l’importance du principe de proportionnalité et de la mise en balance des droits fondamentaux concernés qui sont pour elle, les droits d’auteur et les droits voisins, la liberté d’entreprise dont bénéficient les opérateurs économiques (dont les FAI) et la liberté d’information des utilisateurs d’internet. La Cour a considéré que l’injonction dont il était question ne semblait pas porter atteinte à la liberté d’entreprendre dans la mesure où elle laisse au FAI le choix de déterminer les mesures concrètes à prendre pour atteindre le résultat visé et peut donc choisir des mesures qui soient « les mieux adaptées aux ressources et aux capacités dont il dispose et qui soient compatibles avec les autres obligations et défis auxquels il doit faire face dans l’exercice de son activité », et que le FAI pourra s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il a pris toutes les mesures raisonnables.
En outre, la Cour a précisé que les autres droits fondamentaux concernés ne s’opposaient pas non plus à une telle injonction, à condition, d’une part, que les mesures prises par le FAI ne privent pas inutilement les consommateurs de la possibilité d’accéder de façon licite aux informations disponibles et, d’autre part, que ces mesures aient pour effet d’empêcher ou au moins, de rendre difficilement réalisables les consultations non autorisées des objets protégés et de décourager sérieusement les utilisateurs de consulter les objets mis à leur disposition en violation du droit de propriété intellectuelle, ce qu’il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de vérifier. Les juges européens n’ont donc pas suivi l’avis de l’avocat général sur ce point. Ce dernier avait, en effet, considéré que prononcer une injonction en des termes très généraux et sans prescription de mesures concrètes n’était pas conforme à la directive et à un juste équilibre des droits fondamentaux (le juge pouvant les juger insuffisantes ou, au contraire, trop drastiques).
Cette décision présente le mérite de reconnaître aux victimes de contrefaçon la possibilité de demander au juge de faire injonction à un FAI de bloquer l’accès à un site internet portant atteinte à leurs droits, ce qui est particulièrement intéressant lorsque les contrefacteurs sont difficilement atteignables voire non identifiables.
Néanmoins, les modalités de mise en œuvre d’une telle injonction et ses conséquences restent encore floues. En effet, si les FAI sont libres de décider des mesures à mettre en œuvre, ils pourront aussi être responsables pour avoir pris des mesures insuffisantes ou draconiennes. Mais où placer le curseur du caractère suffisant des mesures prises ? Aussi, si la charge des frais de blocage semble, à la lecture de l’arrêt, incombées aux FAI sa mesure reste encore à déterminer.
En tout état de cause, cette jurisprudence exercera sans nul doute une influence sur les réformes du droit d’auteur à l’ère numérique en cours mais aussi sur les jurisprudences nationales. Rappelons qu’en France, dans l’affaire Allostreaming, les titulaires de droit ont fait appel de la décision du TGI de Paris, lequel avait enjoint des FAI de bloquer l’accès à des sites illicites tout en faisant supporter la charge des frais de blocage associés aux ayant-droits…