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Nouvelle approche jurisprudentielle de la prescription en matière de délit de presse sur internet

18 mai 2013 | Derriennic Associés |

(TGI Paris, 17ème chambre, 18 mars 2013, n°11/17915).
Lien vers la décision
Aux termes de cette décision, le TGI de Paris est venu préciser, voire modifier, les modalités d’application du délai de prescription de 3 mois (prévu par l’article 65 de la loi du 29/07/1881) en matière d’infraction de presse sur Internet.
La question plus précisément posée au TGI était la suivante : le fait, dans un article publié depuis moins de 3 mois, de faire référence, au moyen d’un lien hypertexte, à un article rédigé depuis plus de 3 mois fait-il courir, s’agissant de ce dernier article, un nouveau délai de prescription de 3 mois ?
Rappel de la position de la Cour de cassation :
Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le délai de l’article 65 de la loi de 1881 court à compter de la date de mise en ligne initiale, sans dérogation particulière s’agissant d’Internet. En application de ce principe, la Cour de cassation est venue préciser qu’une mise à jour d’un site Internet ne fait pas courir un nouveau délai de prescription. Il en est de même en cas d’adjonction d’une seconde adresse URL permettant de rendre un site Internet, et partant les articles qui le composent, plus facilement accessibles.
Faits d’espèce :
Dans l’affaire soumise au TGI de Paris et sur lequel porte le jugement du 18 mars 2013, trois articles avaient été mis en ligne successivement les 14 et 28 juillet 2011, puis le 8 septembre 2011.
Les délais de prescriptions de principe pour ces trois articles étaient donc les suivants :
– Article du 14 juillet 2011 => prescription le 14 octobre 2011 ;
– Article du 28 juillet 2011 => prescription le 28 octobre 2011 ;
– Article du 8 septembre 2011 => prescription le 8 décembre 2011.
Or une action en diffamation devait être introduite le 5 décembre 2011 à l’encontre tant de l’article du 8 septembre 2011, mais également de celui du 14 juillet 2011.
L’auteur des articles a donc naturellement excipé de la prescription de l’action concernant l’article mis en ligne le 14 juillet 2011. Le demandeur opposait cependant qu’en l’espèce, l’article du 8 septembre 2011 comportait un lien hypertexte renvoyant vers l’article du 14 juillet 2011 de sorte que le délai de prescription de l’action en diffamation visant cet article devait être calqué sur celui de l’article du 8 septembre 2011.
Décision du TGI de Nanterre :
La décision du TGI est particulièrement novatrice en ce sens qu’elle vient préciser, contrastant en cela la jurisprudence en vigueur, que la création d’un lien hypertexte doit s’analyser comme une nouvelle mise en ligne du texte auquel ce lien renvoie, à l’instar de la réédition d’un livre. Et cette nouvelle mise en ligne fait par suite courir un nouveau délai de prescription.
Nota : en l’espèce, le lien hypertexte renvoyait à un autre article du même site Internet (lien hypertexte interne et non externe). Par ailleurs, une partie de l’article du 14 juillet 2011 était reproduit dans celui du 8 septembre 2011.
Questions :
Au vu de ce jugement, particulièrement novateur, et si tant est que cette jurisprudence soit confirmée*, il est loisible de s’interroger sur les points suivants :
→ Comment le créateur du lien hypertexte pourra-t-il rapporter la preuve de la véracité des propos qu’il n’a pas écrits mais reprit via un lien hypertexte ? La défense habituelle, en matière d’action en diffamation, réside en effet dans l’exception de vérité ;
→ Qui pourra être poursuivi ? Le rédacteur initial des propos diffamatoires (auquel cas le délai de prescription à son encontre pourrait être indéfini) ? Le créateur du lien hypertexte ? Les deux solidairement ?
→ En cas de lien hypertexte externe, pourra-t-on et devra-t-on assigner le directeur de publication du premier site ?
Ce jugement laisse perplexe.
* Le TGI de Paris semble, en tout cas, d’ores et déjà avoir confirmé sa décision du 18 mars : TGI Paris 25 mars 2013 n°13/00538 Aristophil c/ UFC