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Pas de présomption généralisée des différences de traitement entre salariés résultant d’un accord collectif

27 février 2019 | Derriennic Associés|

Cass. Civ. 1er, 03 avril 2019, n°17-11.970, F+P+B+R+I

La Cour de cassation précise la portée de sa jurisprudence sur la présomption de justification des différences de traitement résultant d’accords collectifs en écartant toute possibilité de généralisation de cette présomption.

En l’espèce, une salariée est affectée à un poste de coordinatrice gestion achats sur le site de Saint-Lô au sein de la caisse régionale du crédit agricole à partir du 27 août 2012. Ce site ainsi que celui d’Alençon sont regroupés à Caen en 2014. Est alors apparue une différence de traitement entre les salariés de l’ancien site de Saint-Lô : ceux affectés avant le 1er juin 2011 ont bénéficié de mesures d’accompagnement des mobilités géographiques et fonctionnelles en raison d’un accord signé le 5 juillet 2013, tandis que ceux ayant moins d’ancienneté sur le site, à l’instar de la requérante, s’en sont trouvés privés.

Pour celle-ci, il s’agissait alors de faire reconnaître une rupture de l’égalité de traitement et de bénéficier desdites mesures.

Pour la cour de cassation, d’une part, la reconnaissance d’une présomption générale de justification de toutes différences de traitement entre les salariés dès lors qu’elles ressortent de conventions ou d’accords collectifs, serait contraire au Droit de l’Union européenne quand il s’applique. En effet, une telle présomption fait reposer sur le seul salarié la charge de la preuve de l’atteinte au principe d’égalité alors qu’un accord collectif n’est pas en soi de nature à justifier une différence de traitement.

D’autre part, une telle présomption se trouverait privée d’effet dans la mesure où les règles de preuve propres au droit de l’Union viendraient à s’appliquer.

Partant, la généralisation d’une présomption de justification par les conventions ou accords collectifs de toutes différences de traitement ne peut qu’être écartée.

Pour rappel, le droit de l’Union européenne prohibe les discriminations fondées sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. La Cour de justice européenne affirme que le principe de non-discrimination est l’expression spécifique du principe d’égalité, principe général du droit de l’Union européenne. En vertu de ce principe général, il est interdit au juge national d’instaurer une présomption de justification tirée d’un accord collectif.

En France, si cette présomption est admise s’agissant des différences de traitement opérées par voie d’accord collectif, c’est en raison de l’habilitation constitutionnelle donnée aux représentants des salariés (8ealinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946) et de la délégation législative par laquelle les conventions collectives peuvent préciser les modalités concrètes d’application des principes fondamentaux du droit du travail (article34 de la Constitution). Ainsi, les partenaires sociaux ne peuvent avoir plus de latitude que le législateur concernant les dérogations au principe d’égalité de traitement.

Par cette décision, la cour de cassation indique, implicitement, que sa jurisprudence ne peut être interprétée comme ayant institué de manière générale un effet justificatif à toute différence de traitement résultant d’un accord collectif. Elle est également dans la lignée de la tendance actuelle de la jurisprudence de la Cour de cassation qui circonscrit avec précision les situations dans lesquelles des salariés sont considérés comme étant placés dans une situation identique au regard d’un avantage.