CONTACT

Résilier sans mise en demeure et réclamer des indemnités contractuelles, un pari risqué 

11 juin 2025 | Géraldine Pacaut |

Résilier sans mise en demeure et réclamer des indemnités contractuelles, un pari risqué 

Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 11, 02 mai 2025 – n° 22/14477

Un prestataire confronté à la décision de suspension du projet par son client décide de résilier pour manquement. Si le tribunal de commerce lui avait donné satisfaction, faisant droit à l’ensemble de ses demandes économiques (30 millions d’euros !), la cour d’appel va considérer la résiliation comme fautive et infirmer le jugement. Pour autant, faute de pouvoir établir son préjudice, le client ne recevra aucune indemnisation. 

Un projet informatique d’ampleur, trop couteux pour le nouvel actionnaire qui demande une suspension

Une société conclut en 2017, dans le cadre du projet de transformation de son infrastructure informatique, un ensemble de contrats avec un prestataire informatique : contrat-cadre de prestations de services, d’une durée de sept ans, et contrats d’application relatifs au projet de transformation et au run.

Au mois d’octobre 2018, la société cliente est rachetée par un groupe chinois et informe le prestataire en mai 2019 que le projet est trop coûteux et qu’elle entend suspendre temporairement le projet, en vue de le reconfigurer, et d’annuler les travaux prévus sur les deux mois suivants.

La résiliation par le prestataire pour manquement, contesté par le client, et les demandes croisées d’indemnisation 

Après échec d’une tentative de conciliation, et le refus du client de prendre en charge les conséquences de l’arrêt du projet, le prestataire notifie au client la résiliation du contrat pour manquement.

Le prestataire prétend que la décision unilatérale du client de suspendre le contrat constituait un manquement contractuel, qui lui permettait de se prévaloir de la clause résolutoire du contrat sans mise en demeure préalable, s’agissant d’un manquement non réparable. Il soutient que les motifs de cette décision, qui tenaient uniquement à des difficultés économiques du groupe, étaient étrangères à un cas de force majeure, seul cas de suspension prévu par le contrat. Pour le prestataire,  placé dans l’impossibilité d’exécuter le contrat dans les conditions initiales, le client voulait imposer une modification de la structure et des fonctionnalités du projet, ce que n’autorisait pas le contrat. Le client aurait ainsi manqué à son obligation contractuelle de ne pas faire, le client s’étant engagé à ne pas empêcher, entraver ou retarder l’exécution des prestations. 

Le prestataire réclame le paiement d’indemnités de résiliation puisque le contrat prévoyait qu’en cas de rupture anticipée, le client était redevable du « restant dû », ainsi que des dommages et intérêts et le paiement de factures à un coût revalorisé.

Le client impute au prestataire une rupture fautive du contrat, en faisant valoir que ce dernier n’était pas fondé à lui reprocher un quelconque manquement contractuel. Le client prétend qu’il n’a jamais eu l’intention de mettre un terme au Contrat, mais a seulement sollicité une suspension temporaire afin d’envisager une nouvelle feuille de route, afin de tenir compte de la modification significative de l’entité suite à son rachat. 

Pour le client, la résiliation pour des prétextes fallacieux lui a causé des préjudices ; il réclame notamment le remboursement du montant des sommes versées dans le cadre du projet de transformation, dont il n’aurait tiré aucun bénéfice, ainsi que l’indemnisation du coût des ressources internes mobilisées et la réparation de son préjudice moral. 

Après différentes procédures en référé, les deux sociétés (le client via ses liquidateurs judiciaires) se sont assignées mutuellement, réclamant chacune des millions d’euros en réparation du préjudice causé par l’autre.

La rupture du contrat était-elle fautive ? Oui selon la cour d’appel qui infirme le jugement

Par jugement du 29 juin 2022, le tribunal de commerce de Paris fait pleinement droit aux demandes du prestataire et lui accorde 30m€ !

Il a ainsi jugé que le prestataire informatique avait résilié à bon droit le contrat et fixé au passif de la liquidation judiciaire du client des créances (i) de 16m€ au titre des indemnités contractuelles, (ii) plus de 10m€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice (notamment de manque à gagner), et (iii) plus de 4m€ au titre de de factures de prestations de Run.

Les liquidateurs ont évidemment formé appel. 

La cour d’appel va dans un premier temps totalement écarter l’argumentaire du client relatif à l’exception d’inexécution qu’il faisait valoir a posteriori, justifiant sa demande de suspension par les retards majeurs dans le déploiement du projet (près de 2 ans). 

Le client n’avait pas exprimé son intention de suspendre l’exécution de ses propres obligations, notamment en refusant de s’acquitter des factures, pour contraindre le prestataire à s’exécuter, mais a souhaité suspendre la poursuite du contrat dans son intégralité, dans le but de le faire évoluer, notamment pour en diminuer le coût. Ce n’est qu’en réponse à la notification de la résiliation du contrat que le client s’est prévalu de ce grief pour justifier sa décision d’étudier et de repenser le projet.

La cour d’appel va cependant donner pleinement raison au client en considérant la rupture comme fautive, après analyse des clauses contractuelles, échanges entre les parties et au visa des articles 1224 et 1225 du code civil. Les juges considèrent que le client avait fait part d’une intention résolue de suspendre le contrat et d’annuler les travaux sur 2 mois mais évoquait le dessein de concevoir de nouvelles orientations, sans qu’aucune décision définitive ne soit prise quant à l’avenir projet.

La modification des conditions du contrat a fait ainsi l’objet de discussions entre les parties, et le prestataire ne démontre pas que le client aurait souhaité d’emblée annuler le contrat, remettre en cause totalement le projet initial, ou aurait imposé une modification unilatérale des conditions contractuelles. Les juges relèvent que le client était en tout état de cause fondé contractuellement à solliciter une évolution du périmètre du contrat, témoignant d’une volonté de mettre en place un cadre flexible et adaptatif à l’évolution du groupe.

De surcroit le prestataire n’établit pas que le manquement reproché n’était pas « réparable » au sens du contrat le dispensant d’une mise en demeure préalable, la suspension présentant elle-même un caractère réversible, de même que l’éventuel préjudice financier susceptible d’en découler demeurait réparable. Dès lors, il lui appartenait, pour le moins, d’enjoindre préalablement son client de revenir sur sa décision.

Le rejet subséquent des demandes indemnitaires du prestataire

En toute logique, la cour va donc infirmer le jugement ayant condamner le client à indemniser le prestataire: la résiliation notifiée unilatéralement par le prestataire, à défaut d’être justifiée, s’analyse en une résiliation pour convenance et pour la cour c’est en vain que la société intimée prétend que le client serait redevable d’un « restant dû » indépendamment des causes de la résiliation anticipée. 

Aucun manquement n’étant imputable au client, le prestataire n’est pas non plus fondé à solliciter l’indemnisation de préjudices consécutifs à la résiliation du contrat, pas plus qu’une revalorisation à la hausse des prestations du Run.

Le client reste, néanmoins, devoir au prestataire le coût des prestations restées impayées, soit 1,5m€

Le rejet plus étonnant de la demande indemnitaire du client s’explique par sa carence probatoire 

Malgré la rupture fautive, la cour va cependant également débouter le client de l’ensemble de ses demandes de restitution et d’indemnisation.

D’une part, les juges considèrent que le client n’est pas fondé à solliciter le remboursement des sommes payées avant la date de la résiliation, pas plus que du montant des prestations réalisées après, sur demande et devis acceptés par les liquidateurs.

D’autre part, le client ne prouve pas avoir subi un préjudice, en versant ces sommes en pure perte. En effet, les prestations facturées étaient rendues nécessaires pour faire fonctionner l’ancien système informatique, devenu obsolète, dans l’attente de son remplacement, et le client ne justifie pas avoir été dans l’impossibilité d’exploiter les travaux du prestataire, bien que non achevés, en faisant appel à un nouveau prestataire. Le client ne produit par ailleurs aucune pièce de nature à justifier le coût de la main-d’œuvre salariée qu’il prétend avoir consacré à la mise en place du projet. Il n’est pas non plus prouvé que la résiliation du contrat aurait engendré une désorganisation du client, ayant aggravé sa situation financière, de sorte qu’il n’est pas fondé à se prévaloir d’un préjudice moral.

Personnalisation des cookies

Cookies de mesures d'audience

Ce site utilise Matomo à des fins statistiques (cookies de mesure d’audience). Ils permettent de savoir combien de fois une page déterminée a été consultée. Nous utilisons ces informations uniquement pour améliorer le contenu de notre site Internet.

Il s’agit des cookies suivants :

_ga : Ce cookie permet d’identifier les visiteurs du site via l’adresse IP de l’utilisateur. Elle est ensuite anonymisée par Matomo Analytics.

_gat_gtag_UA_162039697_1 : Ce cookie permet de limiter le nombre de requêtes simultanées au site et d’éviter les bugs

_gid : Ce cookie permet d’identifier les visiteurs du site via leur adresse IP (conservation de 24h). Elle est ensuite anonymisée par Matomo Analytics.

Vous pouvez consulter la page dédié à la protection des données de Matomo