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A vos marques : le défaut de clarté des produits/services et la mauvaise foi du déposant sont-ils des motifs de nullité ?

24 février 2020 | Derriennic Associés|

Par un très attendu arrêt du 29 janvier dernier, la CJUE nous livre des réponses claires, à la fois riche d’enseignements – tant pour les titulaires de marques, les futurs déposants que les présumés contrefacteurs – mais aussi sources de difficultés pratiques.

Cet arrêt est intervenu dans le cadre d’une affaire opposant la société Sky, opérateur de câble par satellite, à la société Skykick, prestataire de services « cloud » s’agissant de la contrefaçon de marques comportant le mot « Sky » de la première par la seconde et ce, pour des produits et services relevant de mêmes classes (notamment 9 (logiciel) et 38 (services informatiques)).

  1. Défaut de clarté et de précision des produits et services désignés dans une marque enregistrée : un motif de nullité ?

La CJUE a déjà jugé que le demandeur d’une marque devait désigner les produits et services  (pour lesquels la protection de la marque est demandée) avec suffisamment de clarté et de précisions pour déterminer l’étendue de la protection et ce, sous peine de rejet de la demande (CJUE 19 juin 2012, C-307/10).

Toutefois, parce que le « défaut de clarté et de précision des produits et services » n’est pas une cause figurant dans la liste exhaustive des causes de nullité d’une marque prévue par le droit de l’Union, la CJUE juge que cette solution ne peut être étendue au cas d’une marque enregistrée.

Si une marque ne peut donc être déclarée nulle sur ce motif, la Cour souligne que sa protection ne couvre que les produits et services dont il est fait un usage sérieux (à défaut d’un tel usage pendant 5 ans, la marque encourt la déchéance).

  1. Demande d’enregistrement d’une marque sans intention de l’utiliser pour tous les produits et services visés : un acte de mauvaise foi justifiant la nullité ?

Conformément au droit de l’UE, la mauvaise foi du déposant d’une marque, lors de son dépôt, est une cause de nullité.

La CJUE relève que cette notion de « mauvaise foi » n’est pas définie par les textes. C’est la jurisprudence qui définit ses contours.

Dans cette décision, les Juges européens précisent que l’enregistrement d’une marque sans que le déposant n’ait l’intention d’en faire usage pour les produits et services visés peut constituer une telle mauvaise foi dans les conditions suivantes :

« il existe des indices objectifs pertinents et concordants tendant à démontrer que, à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque considérée, le demandeur de celle-ci avait l’intention soit de porter atteinte aux intérêts de tiers d’une manière non conforme aux usages honnêtes, soit d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque. ».

En revanche, le fait que, au moment du dépôt, le déposant « n’avait pas d’activité économique correspondant aux produits et aux services visés par ladite demande » ne saurait suffit à caractériser la mauvaise foi.

Cette décision marque une avancée, mais qui reste « timide », sur le sort des marques déposées pour de nombreux produits et services très « généraux » :

  • pour lesquels la marque n’est souvent pas pleinement exploitée ;
  • et/ou qui ne constituent pas le cœur des produits et services réellement exploités (l’exemple du logiciel est frappant : à l’ère numérique il est sous-jacent à une multitude de produits et services).

En effet, s’il n’est pas possible d’invoquer la déchéance d’une marque pour défaut d’usage sérieux concernant certains produits et services car un délai de 5 ans n’est pas encore écoulé, sa nullité peut être invoquée pour mauvaise foi de son déposant (en s’étant réservé la marque sur des produits et services de façon large sans intention de l’exploiter).

Mais, en pratique, la preuve de cette mauvaise foi selon les critères dégagés par le CJUE, en l’occurrence au moment du dépôt,  sera manifestement très difficile à rapporter…

Si nous sommes encore loin du système américain qui exige des preuves d’exploitation pour enregistrer définitivement une marque, l’application de cette jurisprudence par les juridictions et autorités nationales sera particulièrement intéressante à suivre.