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Contrat informatique : attention à la résiliation anticipée par le client, elle a ses risques et périls !

06 juillet 2019 | Derriennic Associés|

Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 11, Arrêt du 28 juin 2019, Répertoire Général n° 15/24198

La résiliation anticipée d’un CDD ne peut être justifiée que par des manquements graves aux obligations contractuelles, cette résiliation ayant lieu alors aux risques et périls de la partie qui a mis fin au contrat. Cet arrêt éclaire, d’une part, sur la qualification de « manquement grave » dans le contexte d’une double obligation de résultat sur le respect des délais et de livraison conforme et, d’autre part, sur les causes exonératoires à cette obligation et, enfin, sur les conséquences d’une résiliation fautive.

Une société industrielle signe, avec une société éditrice de solutions informatiques spécifiques, un contrat de fourniture d’un an renouvelable, aux termes duquel l’éditeur s’engage à développer et fournir un logiciel de gestion de batteries répondant à certaines spécifications pour un montant de 140 000 euros, livrable selon un planning prédéfini. Le contrat fait l’objet de différents avenants mais le client annonce la fin de la collaboration, faisant état du non-respect des délais et des anomalies sur le code. L’éditeur assigne le client en soutenant que la résiliation est fautive, que les honoraires correspondant aux prestations exécutées sont dus et que le client utilise sans droit le code développé.

Par jugement du 20 novembre 2015, le TGI de Paris :

  • déclare la rupture unilatérale non fondée et condamne le client à régler le solde entre les sommes restant dues au prestataire et son préjudice. En effet, si les manquements contractuels de ce dernier ne justifiaient pas la résiliation anticipée du contrat, jugée fautive, ils conduisent à prendre en compte le préjudice subi par le client. Le TGI va ainsi retenir des factures à payer les sommes versées à des sociétés tierces aux fins de correction, mais pas l’entier coût du prestataire de remplacement et des équipes du client, ce dernier ayant résilié à ses risques et périls ;
  • rejette la demande de réparation fondée sur le non-respect des droits de propriété intellectuelle, le contrat ne subordonnant pas le transfert des droits à la fin du contrat et au paiement de l’ensemble des sommes dues.

Les deux parties relèvent appel de la décision : le prestataire demande le paiement intégral des prestations réalisées (123 000 euros) et la réparation de son préjudice découlant de l’usage du logiciel en violation de ses droits d’auteur (500 000 euros), alors que le client sollicite le paiement de dommages intérêts (146 000 euros).

La Cour d’appel va reprendre les arguments du TGI et confirmer le jugement en ce qu’il avait considéré la résiliation fautive et rejeté la demande relative aux droits d’auteur. Pour autant, la Cour n’en tire pas les mêmes conclusions en termes de condamnation du client.

Les juges rappellent que la résiliation anticipée d’un CDD n’est pas possible (article 1212 du code civil), mais que néanmoins cette rupture peut être justifiée par des manquements graves d’une partie à ses obligations contractuelles, cette résiliation ayant lieu alors aux risques et périls de la partie qui a mis fin au contrat selon la jurisprudence de la Cour de cassation.

En l’espèce, en application du contrat, le prestataire était tenu à une obligation de résultat concernant une livraison conforme et un calendrier précis ; le débiteur d’une obligation de résultat est tenu de remplir ses obligations, sauf cas de force majeure.

Concernant le planning, il est impossible de contester que le prestataire ne l’a pas respecté. Si l’expert a retenu des causes partagées pour expliquer le retard (conclusion d’avenants entraînant une charge supplémentaire de travail, livraison tardive par le client, définition tardive ou imprécise de certaines spécifications), ces causes ne revêtent pas le caractère de force majeure, soit d’extériorité, d’irrésistibilité et d’imprévisibilité. Cependant, le seul défaut du respect du calendrier ne constitue pas, en lui-même, un manquement grave justifiant la rupture anticipée, alors que le contrat prévoyait comme sanction du retard, non pas la résiliation, mais des pénalités de retard qui étaient de nature à indemniser le client des préjudices subis.

Concernant l’obligation de livrer un logiciel conforme, il résulte de l’expertise judiciaire que le logiciel comportait des anomalies et il convient d’apprécier si ces anomalies sont suffisantes pour être qualifiées de manquements graves. Or, le respect d’une obligation de délivrance conforme doit s’apprécier à la lumière de la durée globale du contrat, de telle sorte qu’il ne peut être imputé à un débiteur l’inexécution avant son terme si le bénéfice du terme lui aurait permis d’apporter des modifications utiles pour satisfaire à son obligation de délivrance conforme. En l’espèce, le client a résilié par anticipation alors que des anomalies auraient été corrigées si le processus de développement et la recette avaient été à leur terme et la cause était partagée dans les non-conformités fonctionnelles du logiciel en raison notamment de la non-précision des spécifications. En conséquence, les manquements du prestataire ne peuvent être qualifiés de manquements graves justifiant une rupture anticipée du contrat à durée déterminée.

Concernant les montants réclamés, la Cour va considérer que le solde impayé (calculé à 80 000 euros) est intégralement dû par le client en raison de la résiliation fautive du contrat à ses risques et périls. Le client ayant commis une faute en résiliant le CDD, sa demande de réparation de son préjudice qui découle de cette résiliation (emploi de son personnel, interventions de prestataires extérieurs), sera déboutée.