Par un jugement du 23 février 2023, le Tribunal de commerce de Paris a débouté les principaux éditeurs juridiques français de leur action face à Doctrine.
Le 14 mai 2020, les principaux « éditeurs juridiques » (Dalloz, Lexbase, LexisNexis, Lextenso et Wolterskluwer) ont assigné la plateforme Doctrine, éditeur de service juridique « intelligent » créé en 2016, lui reprochant divers manquements au Code civil et au Code de la consommation.
En premier lieu, les éditeurs juridiques reprochaient à Doctrine de commettre des pratiques commerciales trompeuses, et plus précisément une publicité comparative illicite, en laissant croire au public être le moteur juridique proposant le plus de décisions de justice. Doctrine indiquait détenir plus de 7 millions de décisions de justice, ce chiffre étant, selon les éditeurs juridiques, impossible à atteindre légalement.
Le tribunal a cependant considéré que la charge de la preuve ne saurait être inversée, Doctrine « n’ayant pas à justifier du volume de sa base face à de simples allégations qu’aucune des pièces produites par les [demandeurs] ne permettait de corroborer », d’autant que Doctrine a, au contraire, invoqué pour sa défense des PV de constat d’huissier « attestant de la régularité de sa base de données, sous contrôle d’un expert informatique ».
En deuxième lieu, les éditeurs juridiques reprochaient à Doctrine des actes de concurrence déloyale puisque cette dernière faisait croire au public qu’elle détenait un nombre de décision de justice bien supérieur à ce qu’il est possible d’obtenir légalement. Ce mensonge, et la constitution de la base de données, procèderaient nécessairement « de moyens opaques et malhonnêtes ».
Le tribunal n’a pas suivi le raisonnement et a considéré d’une part que « l’avantage concurrentiel [résultant d’une] avance technologique, […] ne saurait être qualifié de déloyal » en effet, les « efforts soutenus de [Doctrine] pour pénétrer le marché [ne sont] pas en tant que tel répréhensibles » et, d’autre part, qu’il est « insuffisant pour [les éditeurs juridiques] d’affirmer que la volumétrie de la collecte de données […] était par principe impossible et donc nécessairement illicite » sans « établir des faits délictueux précis ».
En troisième lieu, les éditeurs juridiques reprochaient à Doctrine des actes de parasitisme. Effectivement, Doctrine indexait sur son site internet des liens vers les œuvres des éditeurs juridique protégées par un droit de propriété intellectuelle et laisserait entendre que sa clientèle pourrait avoir accès au contenu des éditeurs juridiques en s’abonnant à Doctrine.
Le tribunal a cependant considéré que la clientèle n’était pas portée à croire qu’elle pouvait accéder librement aux fonds doctrinaux réservés aux abonnés des éditeurs juridiques d’une part « au vu des prix proposés par Doctrine », et d’autre part car la clientèle avait « la possibilité de prendre connaissance de la base avant de souscrire un abonnement ».
Compte tenu de tout ce qui précède, le tribunal a débouté les éditeurs juridiques de toutes leurs demandes et fait droit aux demandes reconventionnelle de Doctrine.
Considérant que les éditeurs juridiques « ont fait peser sur Doctrine une pression judiciaire hors de proportion avec les reproches formulés », ce comportement ne pouvant s’expliquer « que par la volonté d’intimider ce nouvel entrant pour tenter de l’éliminer du marché », le tribunal a condamné les éditeurs juridiques à payer à Doctrine la somme de 50 000 euros pour procédure abusive et 125 000 euros d’article 700.
Source : Tribunal de commerce de Paris, 12e chambre, 23 février 2023, n° 2020019375