FICHE PRATIQUE : Télétravail
- Comment mettre en place le télétravail ?
Il est préférable de prévoir les modalités de mise en place et d’exercice du télétravail dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe.
Toutefois, en l’absence de charte ou d’accord collectif, il est toujours possible de formaliser par tout moyen l’accord de recourir au télétravail (contrat de travail ou avenant, échanges d’emails, sms,…)
L’avantage de l’accord collectif est d’éviter d’avoir à gérer en urgence ou au cas par cas le recours au télétravail et d’assurer une égalité de traitement entre les salariés.
En outre, l’intérêt de privilégier un accord collectif est qu’il prédomine sur les dispositions de l’ANI du 19 juillet 2005, lesquelles s’imposeront en revanche à l’employeur si le télétravail est mis en place par une chartre ou par tout autre moyen.
- Que doit prévoir la charte ou accord collectif ?
L’accord collectif mettant en place le télétravail ou, à défaut, la charte élaborée par l’employeur doit préciser (C. trav., art. L. 1222-9, II) :
- les conditions de passage en télétravail et les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ;
- les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail ;
- les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
- la détermination des plages horaires au cours desquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail ;
- les modalités d’accès des travailleurs handicapés à une organisation en télétravail.
Il est conseillé de déterminer précisément dans l’accord ou la charte les emplois ou catégories d’emplois pouvant bénéficier du télétravail et, inversement, exposer les raisons objectives qui excluraient certains postes, et le cas échéant une condition d’ancienneté.
Il est également préférable de fixer les modalités de mises en œuvre du télétravail : déterminer la procédure de demande de passage en télétravail, les modalités de prise en charge des frais induits par le télétravail, les garanties pour assurer un retour dans l’entreprise lorsqu’il est mis fin au télétravail, …
- Quelles précautions à prendre en l’absence d’accord collectif ou de charte ?
En l’absence d’accord collectif ou de charte, le télétravail peut être mis en place « par tout moyen » : par une disposition du contrat de travail ou par un avenant à celui-ci, mais aussi par simples échanges d’emails entre l’employeur et le salarié.
Ce formalisme allégé ne soit pas, selon nous, exclure la fixation par écrit des modalités précises de mise en œuvre et d’exercice du télétravail (journées de télétravail, à défaut délai de prévenance, éventuellement prévoir une durée de test, etc…)
Cette possibilité n’est pas réservée au télétravail occasionnel, et peut être envisagée pour le télétravail régulier.
En outre, en cas de circonstances exceptionnelles, telles que la menace d’épidémie ou la force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés (C. trav., art. L. 1222-11).
- A qui s’adresse le télétravail ?
Le passage en télétravail repose uniquement sur le volontariat. Il en résulte qu’un salarié ne peut y être contraint, que ce soit sur le fondement d’un accord de performance collective ou sur la prescription d’un médecin du travail.
Le refus du salarié de passer au télétravail ne peut être en soi un motif de sanction ou de rupture du contrat de travail.
En outre, le télétravail implique que l’activité professionnelle puisse être exercée à distance dans de bonnes conditions. Il ne s’adresse qu’aux salariés pour lesquels leur activité s’y prête et qui détiennent des aptitudes individuelles et des qualités professionnelles de nature à permettre une parfaite maîtrise des systèmes informatiques et de remplir leurs fonctions de manière autonome.
Un délai de réflexion peut s’avérer nécessaire afin d’étudier la demande et de mettre éventuellement en place un système d’évaluation pour mesurer les capacités d’un candidat à passer en télétravail.
- Quels frais et obligations pour l’employeur ?
Bien que l’ordonnance n°2017-1387 a supprimé l’obligation pour l’employeur de prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, la suppression de cette obligation ne signifie pas que l’employeur soit dispensé de toute prise en charge des frais induits par le télétravail, eu égard notamment à l’obligation qui pèse sur l’employeur de supporter les frais professionnels (Cass. soc., 19 sept. 2013, no 12-15.137).
Cette obligation ressort toujours de l’ANI du 19 juillet 2005, lequel prévoit que lorsque le télétravail s’exerce au domicile du salarié, sous réserve de la conformité des installations électriques et du lieu de travail, l’employeur fournit, installe et entretient les équipements nécessaires au télétravail. Si exceptionnellement l’employeur utilise son propre matériel, l’ANI prévoit que l’employeur en assurera l’adaptation et l’entretien.
Il est également recommandé à l’employeur de vérifier que l’assurance collective de l’entreprise cible le télétravail des salariés ainsi que les équipements mis à leur disposition, ou, à défaut de s’assurer que l’assurance habitation du salarié couvre l’espace de son logement dédié au télétravail ainsi que les matériels et équipements mis à sa disposition.
Le salarié peut également solliciter une indemnité d’occupation destinée à indemniser les frais engendréspar l’occupation de son domicile à titre professionnel (Cass. soc., 7 avr. 2010, no 08-44.865), même s’il bénéficie, au titre d’une clause contractuelle, d’une allocation forfaitaire pour frais professionnels (Cass. soc., 27 mars 2019, no 17-21.014).
- Quel contrôle du temps de travail et de l’activité du salarié ?
- Contrôle de la durée et de la charge de travail du salarié
Le salarié en télétravail est couvert par la législation du travail et notamment par les règles applicables à la durée du travail. L’employeur doit donc veiller au respect des durées maximales de travail et des temps de repos. Il est tenu par son obligation de sécurité et doit s’assurer de la protection de la santé du salarié dans le cadre de la mise en œuvre du télétravail.
Lorsque le télétravail est mis en œuvre par Accord collectif ou par une Charte, ceux-ci doivent nécessairement prévoir : les modalités de contrôle du temps de travail du télétravailleur, de régulation de la charge de travail du salarié, les plages horaires durant lesquelles l’employeur peut contacter le salarié en télétravail.
La problématique particulière des salariés en télétravail doit être prise en considération, avec le blocage de l’accès au réseau de l’entreprise au-delà de certaines heures, le week-end, et le respect impératif des plages horaires définies avec le salarié durant lesquelles il peut être contacté, etc.
Par ailleurs, l’employeur est tenu d’organiser, chaque année, un entretien avec le salarié en télétravail portant sur ses conditions d’activité et sa charge de travail (C. trav., art. L. 1222-10). Cet entretien peut être l’occasion d’aborder les éventuelles difficultés que rencontre le salarié en matière de gestion de son temps de travail. La séparation entre vie personnelle et vie professionnelle peut en effet être rendue plus délicate du fait du travail réalisé au domicile.
- Contrôle au domicile du salarié
L’article 8 de l’accord interprofessionnel du 19 juillet 2005 reconnaît ce droit d’accès à l’employeur, aux autorités administratives et aux représentants du personnel, compétents en la matière. Il précise toutefois que « si le télétravailleur exerce son activité à son domicile, cet accès est subordonné à une notification à l’intéressé qui doit préalablement donner son accord ».
Par ailleurs, le télétravailleur est autorisé « à demander une visite d’inspection ».
Lorsque le télétravail est formalisé par un avenant au contrat de travail, ce dernier peut également autoriser des visites du domicile du salarié pendant ses horaires de télétravail. Le refus de l’intéressé de s’y soumettre constitue une faute pouvant, selon nous, justifier son licenciement ou à tout le moins le retrait du bénéfice du télétravail.
Il est également envisageable de prévoir une visite domiciliaire sur rendez-vous, mais il est dans ce cas conseillé de préciser que c’est après accord préalable et écrit du télétravailleur, et en sa présence.Si l’on souhaite pouvoir sanctionner le refus injustifié du salarié sans toutefois le licencier, il est conseiller de compléter le règlement intérieur sur ce point.
- Quelles garanties pour la protection des données de l’entreprise ?
Dans la mesure où le salarié en télétravail utilise les technologies de l’information et de la communication, il doit se conformer aux documents internes qui conditionnent leur usage et notamment la charte informatique. Dès lors, il convient de vérifier que le champ d’application est étendu au personnel travaillant à distance et, à défaut, le corriger.
Il conviendra de rappeler que le salarié en télétravail doit porter une attention toute particulière aux règles de sécurité et plus spécifiquement de rappeler que les codes et mots de passe sont strictement personnels et confidentiels et l’interdiction de laisser un tiers accéder à son matériel.
Condamnation pour diffamation d’un salarié ayant dénoncé des agissements de harcèlement
Arrêt n°2357 du 26 novembre 2019 (19-80.360)- Cour de cassation – Chambre criminelle
Pour bénéficier de l’immunité pénale en matière de poursuites pour diffamation publique, le salarié ayant dénoncé un harcèlement moral ou sexuel doit avoir réservé la relation de tels agissements à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail, tel est l’enseignement de l’arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation du 26 novembre 2019.
Dans cette affaire, une salariée a dénoncé des agissements de harcèlement sexuel et moral en adressant un courriel intitulé « agression sexuelle, harcèlement sexuel et moral »non seulement au directeur de l’association qui l’employait et à l’inspecteur du travail, mais aussi à des cadres de l’association et ainsi qu’au fils de l’auteur désigné des agissements.
Pour avoir révélé ces agissements, la salariée est poursuivie et reconnue coupable par la Cour d’Appel du chef de diffamation publique.
La salariée forme un pourvoi en se fondant sur l’article 122-4 du Code pénal, qui consacre comme cause d’irresponsabilité pénale le fait d’accomplir un acte autorisé par des dispositions légales, en l’occurrence la dénonciation d’agissements de harcèlement.
La Cour rejette le pourvoi, confirmant que le délit de diffamation publique est constitué et que la personne poursuivie ne pouvait bénéficier de la cause d’irresponsabilité pénale.
Elle estime que la liste des destinataires du courriel de la salariée excédant la limite du nécessaire, la dénonciation était redevenue passible de poursuites pour diffamation publique :
» Pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité pénale, la personne poursuivie de ce chef doit avoir réservé la relation de tels agissements à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail et non, comme en l’espèce, l’avoir aussi adressée à des personnes ne disposant pas de l’une de ces qualités. «
La salariée qui ne pouvait se fonder sur l’immunité pénale, il lui appartenait pour échapper à la condamnation :
– de justifier de la vérité des faits dénoncés, ce qu’elle n’est pas parvenue à faire en l’absence de dépôt de plainte, de certificat médical ou d’attestations de personnes qui auraient pu avoir eu connaissance, si ce n’est des faits, au moins du désarroi de la victime ;
– d’invoquer l’excuse de bonne foi. Là encore, l’argument a échoué, « les propos litigieux ne disposant pas d’une base factuelle suffisante ».
Dès lors, la chambre criminelle apporte une restriction importante à la possibilité pour le salarié qui dénonce des faits de harcèlement de bénéficier de l’immunité pénale, laquelle ne vaut que si les faits allégués ont été diffusés auprès de l’employeur ou des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail. S’ils ont été rapportés au-delà de ce cercle restreint, des poursuites pour diffamation publique redeviennent envisageables.
Le régime est différent s’agissant de l’immunité disciplinaire dont le salarié bénéficie également lorsqu’il dénonce des faits qu’il estime constitutifs de harcèlement (moral ou sexuel), aucune sanction ne peut être prise à son encontre pour ce motif, à peine de nullité (C. trav., art. L. 1152-2 et L. 1153-3). En effet, contrairement à l’immunité pénale aucune restriction n’est fixée quant aux personnes auxquelles il convient exclusivement de s’adresser pour bénéficier de l’immunité disciplinaire. Cette immunité ne cède qu’en cas de mauvaise foi du salarié.
Obligation de reintegration de la société mère
Cass. soc. 27 novembre 2019, n°18-19221
Même en l’absence de contrat de travail écrit entre la Société mère et le salarié expatrié dans une filiale étrangère, la Société mère doit rechercher des possibilités de reclassement de l’intéressé au sein des sociétés du Groupe si elle est dans l’impossibilité de réintégrer le salarié après son licenciement par la filiale étrangère.
Le refus de la société mère de procéder à la réintégration du salarié constitue un trouble manifestement illicite qui peut être ordonnée sous astreinte par le juge des référés.
En l’espèce, un salarié est engagé par lettre a en tête de la Société mère du 29 mars 2013 pour exercer ses missions au sein d’une société filiale située en Russie.
Pendant l’exécution de son contrat de travail avec la société filiale Russe, le lien de subordination est constamment maintenu entre lui et la société mère Française en parallèle du lien de subordination avec la société filiale Russe (la Société mère le rémunérait indirectement, fixait ses objectifs et sa rémunération et décidait de ses missions).
Le 11 juillet 2016, la société filiale Russe licencie le salarié, lequel forme une demande de rapatriement et de réintégration au sein de la société mère Française. Cette dernière lui oppose un refus.
Saisie en référé, la Cour d’appel de Versailles constate l’existence d’un contrat de travail entre la société mère et le salarié, et ordonne, sous astreinte, à la société mère de réintégrer le salarié dans un emploi comparable à celui précédemment occupé, sur le fondement de l’article L. 1235-1 du Code du travail.
Dans le cadre de son pourvoi en cassation, la société mère Française se prévaut de l’absence de contrat de travail conclu avec le salarié pour invoquer l’inapplication de l’article L. 1235-1 du Code du travail.
En effet, il résulte de cet article que « lorsqu’un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d’une filiale étrangère et qu’un contrat de travail a été concluavec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein ».
La Cour de Cassation approuve toutefois la Cour d’Appel « qui a décidé à bon droit, devant le refus de réintégration opposé par la société mère française au salarié, qu’en application de l’article L. 1231-5 du code du travail, celle-ci devait rechercher les possibilités de reclassement au sein des sociétés du groupe et lui procurer un nouvel emploi compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein et a pu décider qu’un tel refus constituait un trouble manifestement illicite justifiant qu’il soit enjoint à la société de procéder à la réintégration du salarié »
Dès lors, il n’est pas nécessaire qu’un contrat de travail écrit soit conclu entre le salarié et la Société mère pour que s’applique son obligation de rapatriement et de réintégration ou de reclassement, contrairement à la lettre de l’article L.1235-1 du Code du travail. La caractérisation du contrat, en se référant à des indices tel que le maintien du lien de subordination, la fixation de la rémunération et des objectifs par la Société mère, suffit.
Le refus opposé par la Société mère française constitue un trouble manifestement illicite que le juge des référés peut faire cesser en ordonnant sous astreinte le rapatriement et le reclassement du salarié.
Pas de présomption de justification en matière de discrimination lorsque l’inégalité de traitement résulte d’un accord collectif
Cass. Soc. 9 octobre 2019, N° 17-16642
En filigrane de l’arrêt rendu en date du 3 avril 2019 refusant de créer une présomption de justification de toute différence de traitement par accords collectifs (cf. notre lettre d’actualité n°1), la Cour de cassation énonce le principe selon lequel « même lorsque la différence de traitement en raison d’un des motifs visés à l’article L. 1132-1 du Code du travail résulte des stipulations d’une convention ou d’un accord collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, les stipulations concernées ne peuvent être présumées justifiées au regard du principe de non-discrimination ».
Dans cette espèce, une salariée s’estimait victime d’une discrimination fondée sur l’âge découlant des dispositions transitoires d’un accord collectif signé le 24 janvier 2011 au sein de la société qui prévoyait de nouvelles modalités d’attribution des gratifications liées à l’obtention des médailles d’honneur du travail, en ce qu’elles avaient pour effet de priver les personnes les plus âgées de l’entreprise (les carrières longues) de l’une des gratifications, alors que les salariés les plus jeunes les percevraient toutes. En effet, elle s’était vue attribuer la médaille du travail en 2011, pour 35 ans d’ancienneté acquis en 2010, mais n’avait pas reçu la gratification « or » prévue par le nouvel accord au titre de cette ancienneté. La condition tenant à l’absence de gratification versée dans les cinq années suivant l’accord faisait défaut puisqu’elle devait percevoir la gratification « grand or » en 2015 pour ses 40 années d’ancienneté.
La Cour d’appel de Chambéry la déboute au motif que s’agissant de l’application d’un accord collectif, la différence de traitementétait présumée justifiée. Il appartenait donc à la salariée de démontrer que cette différence de traitement était étrangère à toute considération de nature professionnelle, ce qu’elle n’avait pas fait.
Ce n’est toutefois pas sur le terrain de l’égalité de traitement que les juges du fond auraient dû se placer, mais sur celui de la discrimination, a jugé la Haute Juridiction, qui a cassé l’arrêt sur ce point.
En effet, bien que la situation ne corresponde pas à l’une des hypothèses déjà admises par la Cour de cassation, c’est sur le régime jurisprudentiel de l’inégalité de traitement que la cour d’appel s’était fondée pour statuer, alors qu’elle aurait dû se fonder sur le régime de la discrimination. Et en la matière, la charge de la preuve ne peut reposer uniquement sur le salarié. Comme le précise l’arrêt, la cour d’appel aurait dû « rechercher, comme il le lui était demandé, si les stipulations transitoires de l’accord collectif du 24 janvier 2011 ne laissaient pas supposer l’existence d’une discrimination indirecte en raison de l’âge en privant les salariés ayant entre 36 et 40 années de service au moment de l’entrée en vigueur de l’accord et relevant d’une même classe d’âge de la gratification liée à la médaille « or » du travail et, dans l’affirmative, si cette différence de traitement était objectivement et raisonnablement justifiée par un but légitime et si les moyens de réaliser ce but étaient nécessaires et appropriés ».
L’obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral
Cass. Soc. 27 novembre 2019 – 18-10.551
La Cour de cassation pose le principe selon lequel l’obligation de prévention des risques professionnels qui résulte des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail est « distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l’article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle ».
Dans cette affaire, une salariée en arrêt de travail pour maladie avait envoyé une lettre à son employeur dans laquelle elle se plaignait notamment du harcèlement moral dont elle faisait l’objet de la part de sa supérieure hiérarchique. Suite à son licenciement pour insuffisance professionnelle prononcé peu de temps après son signalement, elle a saisi le conseil de prud’hommes afin de faire reconnaitre la nullité de son licenciement et d’obtenir la condamnation de son employeur pour manquement à son obligation de sécurité et de loyauté.
Si les juges du fond ont fait droit à la demande de la salariée concernant la nullité de son licenciement (en effet, aucun salarié ne peut être licencié ou sanctionné pour avoir rapporté des agissements de harcèlement moral : C. trav., art. L. 1152-2), que les faits de harcèlement soient ou non avérés.
Les juges du fond ont ensuite considéré que les faits de harcèlement moral n’étant pas établis, il ne pouvait pas être reproché à l’employeur d’avoir manqué à son obligation de sécurité en ne prenant aucune mesure, comme par exemple diligenter une enquête interne, à la suite du signalement.
Un raisonnement censuré par la Cour de cassation qui affirme que « l’obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l’article L. 1152-1 du Code du travail et ne se confond pas avec elle ». Une obligation de prévention particulièrement importante en matière de harcèlement moral puisque l’article L. 1152-4 du Code du travail, reprenant les principes de l’article L. 4121-1 du Code du travail, indique que l’employeur doit « prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements visés à l’article L. 1152-1 ».
En conséquence, la salariée pouvait invoquer le manquement à l’obligation de prévention de l’employeur y compris si les faits de harcèlement n’étaient pas avérés. Ainsi, dans une telle hypothèse, dès l’instant qu’un salarié signale à son employeur des faits de harcèlement, celui-ci a l’obligation de réagir au titre de son obligation de prévention.
Ainsi, ce qui importe, c’est de vérifier que l’employeur a bien pris toutes les mesures nécessaires pour protéger le salarié, que le risque se soit produit ou pas.
Résiliation judiciaire : les alertes de la médecine et de l’inspection du travail ne sont pas nécessairement graves !
Cass. Soc., 27 nov. 2019, n°18-14725
La Cour de cassation vient ici rappeler que les griefs reprochés à l’employeur, dans le cadre d’une action en résiliation judiciaire du contrat de travail, doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat, ce qui n’est pas le cas de risques mineurs tenant à la sécurité, quand bien même seraient-ils appuyés par la médecine et l’inspection du travail.
Dans cette affaire, une salariée avait été engagée en qualité de vendeuse qualifiée le 16 juin 2010. Le 27 mars 2014, elle introduit une action en résiliation judiciaire, reprochant à son employeur des conditions de travail dégradées dans le local de vente, une absence de maintien du salaire pendant ses arrêts de travail pour maladie ainsi qu’un défaut de prise en charge de ses frais de transport. Le 22 avril 2014, la salariée est licenciée pour motif.
Au regard toutefois de la chronologie, le juge apprécie d’abord, classiquement, si les faits à l’appui de la demande de résiliation sont fondés. A hauteur d’appel et procédant à cette analyse, les juges relèvent que la salariée s’appuie « sans la nommer sur l’obligation de sécurité incombant à l’employeur et prévue par l’article L.4121-1 du code du travail ».
Afin d’étayer les manquements de son employeur, la salariée se prévaut en premier lieu de la fiche entreprise de la médecine du travail, en date du 10 juillet 2013, de laquelle ressortent plusieurs risques (froid et chaud excessif en fonction des saisons, risque électrique tenant au tableau électrique pas aux normes) et contraintes (manutention, charge mentale liée à l’incitation de vendre toujours plus). En second lieu, l’intéressée produit encore un courrier du 15 janvier 2014 de l’inspection du travail, laquelle mettait en avant d’autres risques encore, relatifs à la vérification des extincteurs ainsi qu’à une absence de siège mis à la disposition de la salariée.
Appréciant souverainement ces griefs, les magistrats jugent qu’en l’état de ces deux éléments, la salariée ne rapporte pas la preuve d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Cette dernière se pourvoit alors en cassation, au motif qu’une obligation de sécurité de résultat pèse sur l’employeur, que la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en jugeant que la salariée ne justifiait d’aucun procès-verbal de l’inspection du travail, que la cour n’a pas apprécié les manquements dans leur ensemble mais individuellement pour considérer qu’ils n’étaient pas suffisamment graves.
Aux termes de son attendu, la Cour de cassation se range à l’appréciation souveraine des juges du fond, estimant que la cour d’appel a « sans inverser la charge de la preuve, fait ressortir que les observations de la médecine et de l’inspection du travail concernaient des risques mineurs et a pu décider que les manquements de l’employeur n’empêchaient pas la poursuite du contrat de travail ».
La motivation de la Cour de cassation importe à deux titres. D’abord, elle rappelle la condition désormais bien établie que les manquements reprochés à l’employeur doivent être d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. soc. 11 mai 2017, n° 16-13437). Cela exclut donc, a priori, les manquements anciens (Cass. soc. 21 avr. 2017, n°15-28340). Le second apport de l’arrêt réside par ailleurs dans le fait que des risques tenant à la santé ou la sécurité du salarié peuvent être jugés comme mineurs, de sorte que, nonobstant leur existence, ils n’empêchent pas la poursuite du contrat de travail.
Cette analyse s’inscrit d’ailleurs dans la relativisation de l’obligation de sécurité qui, faut-il le rappeler, n’est plus considérée aujourd’hui comme une obligation de résultat mais comme une obligation de moyen (Cass. Soc., 25 nov. 2015, n°14-24444 ; Cass. Soc., 1er juin 2016, n°14-19702 ; Cass. Soc., 17 oct. 2018, n°16-25438).
Ainsi, le seul fait que des risques existent et ne sont pas contestés ni même contestables, ne suffit pas ou plus à justifier un manquement de l’employeur, a fortiorisuffisamment grave pour justifier la poursuite du contrat de travail.
Cet arrêt, par une appréciation juste et in concreto des éléments de la cause, rappelle que les juges disposent d’un réel pouvoir d’appréciation sur les manquements reprochés, quand bien même le justiciable essaierait de rendre grave ces derniers au moyen de courriers de l’inspection ou de la médecine du travail. Il faut donc se défier, là encore, de ce qui brille d’un éclat trompeur, les juges devant restituer leur exacte qualification aux faits de l’espèce.
Mise à pied conservatoire & convocation à entretien préalable : enchaîner les deux pour plus de liberté
Cass. Soc., 27 nov. 2019, n°18-15303
La Cour de cassation rappelle ici la règle, particulièrement sévère, selon laquelle le caractère conservatoire de la mise à pied ne se déduit pas de la seule qualification de « conservatoire » donnée par l’employeur mais de sa nécessaire simultanéité avec l’engagement de la procédure de licenciement. Autrement dit, si un délai quelconque s’écoule entre la notification de la mise à pied « conservatoire » et la convocation à entretien préalable, la mise à pied pourra être requalifiée en mise à pied disciplinaire, de sorte que l’employeur ne pourra sanctionner une nouvelle fois le salarié pour les mêmes faits en prononçant ultérieurement son licenciement.
Aux termes de l’arrêt ici commenté, un salarié s’était vu notifier une mise à pied à titre conservatoire le 28 août 2015, en raison d’un comportement fautif commis la veille. Celui-ci, alors conducteur routier, n’avait pas évité une branche d’arbre, ce qui avait provoqué d’importants dégâts sur le camion qu’il conduisait. Son employeur le convoque quatre jours plus tard à un entretien préalable. L’intéressé est licencié pour faute grave le 28 septembre 2015. Estimant que son licenciement serait dépourvu de cause réelle et sérieuse en application de la règle non bis in idem, le salarié saisit le conseil de prud’hommes. La décision des premiers juges est confirmée par la cour d’appel de Reims le 14 février 2018, laquelle considère que la mise à pied « conservatoire » notifiée au salarié revêtait un caractère disciplinaire au motif qu’elle n’avait pas été immédiatement suivie de la convocation à entretien préalable, de sorte que le licenciement prononcé ultérieurement s’avère sans cause réelle et sérieuse. L’employeur se pourvoit en cassation, au motif, d’une part, que la mise à pied présentait, dans son libellé même, un caractère conservatoire, ce d’autant qu’elle annonçait sans ambiguïté « l’engagement d’une procédure de licenciement ». D’autre part, l’employeur soutenait que le délai qui s’était écoulé entre le courrier de mise à pied et celui de convocation à entretien n’était pas de 4 jours mais seulement de 3 jours, et même d’un seul jour ouvré puisque les 29 et 30 août étaient un samedi et dimanche, de sorte que la mise à pied avait été immédiatement et régulièrement suivie de l’engagement de la procédure disciplinaire.
Adoptant une posture pour le moins sévère, la Cour de cassation se range à la décision des juges du fond et rejette le pourvoi. Elle juge ainsi « qu’ayant constaté que l’employeur ne justifiait d’aucun motif au délai de quatre jours séparant la notification de la mise à pied de l’engagement de la procédure de licenciement, la cour d’appel a pu en déduire que la mise à pied présentait un caractère disciplinaire, nonobstant sa qualification de mise à pied conservatoire, et que l’employeur ne pouvait sanctionner une nouvelle fois le salarié pour les mêmes faits en prononçant ultérieurement son licenciement ».
Autrement dit, la Cour de cassation juge que, par principe, une mise à pied ne peut être considérée comme conservatoire que si elle est notifiée concomitamment à l’engagement de la procédure disciplinaire. Autrement dit, la mise à pied conservatoire doit intervenir simultanément au courrier de convocation à entretien préalable. Il peut s’agir du même courrier comme de deux courriers différents. En revanche, leur concomitance est le principe. Il s’agit là, en réalité, d’une règle qui avait été déjà jugée dans un arrêt du 30 octobre 2013 (Cass. Soc., 30 oct. 2013, n°12-22962). Dans cette affaire, l’employeur avait attendu 6 jours. On pouvait dès lors penser qu’un délai plus bref, d’un à trois jours, pouvait encore sauvegarder le caractère conservatoire de la mise à pied. Aux termes de l’arrêt commenté, le doute n’est plus permis. Tout délai, même d’un jour, entre la mise à pied et la convocation serait de nature à conférer un caractère disciplinaire à la mise à pied. Il s’agit là du principe.
Par exception, la Cour de cassation laisse à l’employeur la possibilité de justifier du délai au moyen d’un motif légitime. Parmi ces motifs pourrait se trouver la nécessité de procéder à des vérifications techniques (ou autres) tout en écartant l’intéressé du périmètre de l’entreprise. Dans des circonstance particulières, la Cour d’Appel de Poitiers a pu juger qu’une durée de deux mois et demi environ séparant la notification de la mise à pied de l’engagement de la procédure de licenciement ne remettait pas en cause la qualification de mise à pied à titre conservatoire puisque ce délai s’expliquait par la nécessité pour l’employeur de procéder à des investigations de recourir à une expertise amiable puis judiciaire en raison du manque de coopération du salarié, afin d’identifier l’auteur de propos xénophobes et diffamatoires (Cour d’Appel de Poitiers 9 mars 2010, n°08-2867, Ch. Soc. BOUAMA c/ SAS TENCIA). Mais il ne s’agit là que d’une espèce particulière et, au demeurant, isolée et désormais ancienne. Or, s’agissant d’une exception, nul doute que celle-ci sera appréciée strictement par les juges.
Il en résulte une règle que désormais tout employeur devrait observer : la mise à pied conservatoire doit intervenir au même moment que la convocation à entretien préalable, ce d’autant plus que ce dernier n’a pas de finalité arrêtée. A défaut, le risque sera grand de voir requalifier par le juge la mise à pied conservatoire en mise à pied disciplinaire, sur l’autel de la règle non bis in idem.