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Mise à pied conservatoire & convocation à entretien préalable : enchaîner les deux pour plus de liberté

15 janvier 2020 | Derriennic Associés|

Cass. Soc., 27 nov. 2019, n°18-15303

La Cour de cassation rappelle ici la règle, particulièrement sévère, selon laquelle le caractère conservatoire de la mise à pied ne se déduit pas de la seule qualification de « conservatoire » donnée par l’employeur mais de sa nécessaire simultanéité avec l’engagement de la procédure de licenciement. Autrement dit, si un délai quelconque s’écoule entre la notification de la mise à pied « conservatoire » et la convocation à entretien préalable, la mise à pied pourra être requalifiée en mise à pied disciplinaire, de sorte que l’employeur ne pourra sanctionner une nouvelle fois le salarié pour les mêmes faits en prononçant ultérieurement son licenciement.

Aux termes de l’arrêt ici commenté, un salarié s’était vu notifier une mise à pied à titre conservatoire le 28 août 2015, en raison d’un comportement fautif commis la veille. Celui-ci, alors conducteur routier, n’avait pas évité une branche d’arbre, ce qui avait provoqué d’importants dégâts sur le camion qu’il conduisait. Son employeur le convoque quatre jours plus tard à un entretien préalable. L’intéressé est licencié pour faute grave le 28 septembre 2015. Estimant que son licenciement serait dépourvu de cause réelle et sérieuse en application de la règle non bis in idem, le salarié saisit le conseil de prud’hommes. La décision des premiers juges est confirmée par la cour d’appel de Reims le 14 février 2018, laquelle considère que la mise à pied « conservatoire » notifiée au salarié revêtait un caractère disciplinaire au motif qu’elle n’avait pas été immédiatement suivie de la convocation à entretien préalable, de sorte que le licenciement prononcé ultérieurement s’avère sans cause réelle et sérieuse. L’employeur se pourvoit en cassation, au motif, d’une part, que la mise à pied présentait, dans son libellé même, un caractère conservatoire, ce d’autant qu’elle annonçait sans ambiguïté « l’engagement d’une procédure de licenciement ». D’autre part, l’employeur soutenait que le délai qui s’était écoulé entre le courrier de mise à pied et celui de convocation à entretien n’était pas de 4 jours mais seulement de 3 jours, et même d’un seul jour ouvré puisque les 29 et 30 août étaient un samedi et dimanche, de sorte que la mise à pied avait été immédiatement et régulièrement suivie de l’engagement de la procédure disciplinaire.

Adoptant une posture pour le moins sévère, la Cour de cassation se range à la décision des juges du fond et rejette le pourvoi. Elle juge ainsi « qu’ayant constaté que l’employeur ne justifiait d’aucun motif au délai de quatre jours séparant la notification de la mise à pied de l’engagement de la procédure de licenciement, la cour d’appel a pu en déduire que la mise à pied présentait un caractère disciplinaire, nonobstant sa qualification de mise à pied conservatoire, et que l’employeur ne pouvait sanctionner une nouvelle fois le salarié pour les mêmes faits en prononçant ultérieurement son licenciement ».

Autrement dit, la Cour de cassation juge que, par principe, une mise à pied ne peut être considérée comme conservatoire que si elle est notifiée concomitamment à l’engagement de la procédure disciplinaire. Autrement dit, la mise à pied conservatoire doit intervenir simultanément au courrier de convocation à entretien préalable. Il peut s’agir du même courrier comme de deux courriers différents. En revanche, leur concomitance est le principe. Il s’agit là, en réalité, d’une règle qui avait été déjà jugée dans un arrêt du 30 octobre 2013 (Cass. Soc., 30 oct. 2013, n°12-22962). Dans cette affaire, l’employeur avait attendu 6 jours. On pouvait dès lors penser qu’un délai plus bref, d’un à trois jours, pouvait encore sauvegarder le caractère conservatoire de la mise à pied. Aux termes de l’arrêt commenté, le doute n’est plus permis. Tout délai, même d’un jour, entre la mise à pied et la convocation serait de nature à conférer un caractère disciplinaire à la mise à pied. Il s’agit là du principe.

Par exception, la Cour de cassation laisse à l’employeur la possibilité de justifier du délai au moyen d’un motif légitime. Parmi ces motifs pourrait se trouver la nécessité de procéder à des vérifications techniques (ou autres) tout en écartant l’intéressé du périmètre de l’entreprise. Dans des circonstance particulières, la Cour d’Appel de Poitiers a pu juger qu’une durée de deux mois et demi environ séparant la notification de la mise à pied de l’engagement de la procédure de licenciement ne remettait pas en cause la qualification de mise à pied à titre conservatoire puisque ce délai s’expliquait par la nécessité pour l’employeur de procéder à des investigations de recourir à une expertise amiable puis judiciaire en raison du manque de coopération du salarié, afin d’identifier l’auteur de propos xénophobes et diffamatoires (Cour d’Appel de Poitiers 9 mars 2010, n°08-2867, Ch. Soc. BOUAMA c/ SAS TENCIA). Mais il ne s’agit là que d’une espèce particulière et, au demeurant, isolée et désormais ancienne. Or, s’agissant d’une exception, nul doute que celle-ci sera appréciée strictement par les juges.

Il en résulte une règle que désormais tout employeur devrait observer : la mise à pied conservatoire doit intervenir au même moment que la convocation à entretien préalable, ce d’autant plus que ce dernier n’a pas de finalité arrêtée. A défaut, le risque sera grand de voir requalifier par le juge la mise à pied conservatoire en mise à pied disciplinaire, sur l’autel de la règle non bis in idem.