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Droit Social – Lettre d’actualité Octobre 2019

08 octobre 2019 | Derriennic Associés |

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L’accord collectif reste opposable aux salariés malgré le défaut de consultation du Comité d’entreprise

 Cass. Soc., 18 sept. 2019, n°17-31274

Œuvrant à la sécurisation du dialogue social, la Cour de cassation juge ici qu’un accord de modulation du temps de travail reste opposable à l’ensemble des salariés quand bien même il n’aurait pas fait l’objet d’une consultation du comité d’entreprise.

En l’espèce et à l’occasion d’un contentieux prud’homal, une salariée sollicite la requalification de son temps partiel modulé en temps plein, en faisant notamment valoir que ce régime ne lui serait pas opposable, dans la mesure où l’accord collectif l’ayant institué n’avait pas été soumis à la consultation du comité d’entreprise. Emportant la conviction des premiers juges, l’argument est censuré en cause d’appel. La salariée se pourvoit en cassation. Donnant raison aux juges du fond, la Cour de cassation énonce que « le défaut de consultation annuelle du comité d’entreprise sur les décisions de l’employeur portant sur l’aménagement du temps de travail ou la durée du travail, exigée au titre des missions de cet organe concernant la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi, qui peut être sanctionné selon les règles régissant le fonctionnement du comité d’entreprise, n’a pas pour effet d’entraîner l’inopposabilité de l’accord de modulation à l’ensemble des salariés de la société ».

L’apport principal de l’arrêt réside dans la portée donnée aux consultations préalables. La loi impose à l’employeur de consulter les représentants du personnel pour tout projet venant impacter les conditions de travail. Toutefois, les textes relatifs aux consultations ne sont assortis d’aucune sanction. La nullité d’un acte n’est encourue que si ses conditions de validité ne sont pas réunies ou s’il viole l’ordre public ou une liberté fondamentale. L’inopposabilité, quant à elle, n’affecte pas la validité de l’acte mais consiste simplement à en écarter les effets. Une telle sanction n’est pas nouvelle. Elle est notamment appliquée au règlement intérieur lorsque celui-ci n’a pas été soumis à la consultation des représentants du personnel. La Cour de cassation juge alors que le règlement intérieur n’est pas opposable au salarié (Cass. soc., 11 févr. 2015, n° 13-16.457 ; Cass. soc., 9 mai 2012, n° 11-13.687).

La Cour de cassation refuse ici d’appliquer la même sanction aux accords collectifs n’ayant pas été soumis à l’avis préalable des représentants du personnel. Dans une précédente affaire concernant le travail de nuit, la Cour avait déjà jugé que l’irrégularité affectant le déroulement de la procédure d’information-consultation des représentants du personnel n’a pas pour effet d’entraîner l’inopposabilité de l’accord collectif (Cass. soc., 8 nov. 2017, n° 16-15584). Autrement dit, qu’il s’agisse d’une absence de consultation ou d’une irrégularité dans le processus consultatif, le manquement constaté n’a pas pour effet de rendre inopposable au salarié le régime du temps de travail tel qu’il est appliqué au sein de l’entreprise. Pour autant, la Cour ne prive pas de tout effet ni de toute sanction ce défaut de consultation. Elle précise qu’une telle irrégularité peut être « sanctionné selon les règles régissant le fonctionnement du comité d’entreprise ». La Cour de cassation réserve donc aux seuls représentants du personnel la faculté d’agir en justice afin d’obtenir, le cas échéant, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi. Pour autant, comment expliquer la différence d’approche avec le règlement intérieur ? Le débat est ouvert.

 

Il faut proposer au salarié en CDI déclaré inapte les postes disponibles en CDD !

Cass. Soc. 04/09/2019, n°18-18.169

Une salariée est déclarée inapte à son poste en une seule visite à raison d’un danger immédiat. Engagée en CDI et exerçant en tant qu’éducatrice spécialisée, elle est licenciée pour inaptitude. 

La salariée conteste son licenciement, reprochant à son employeur un manquement à son obligation de reclassement et saisit la juridiction prud’homale sur le terrain de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail. 

La cour d’appel considère le licenciement fondé au motif que l’employeur a satisfait à ses obligations dès lors qu’il a (1) proposé à la salariée plusieurs postes qu’elle a refusés, et que (2) le fait que plusieurs éducateurs spécialisés ont été recrutés en CDD est inopérant dans la mesure où ces différents postes recouvrent les mêmes périodes de temps et ne pouvaient donc pas être occupés par un seul et même salarié. 

L’avis du médecin du travail indiquait que la salariée « est inapte à son poste actuel dans le contexte de l’établissement […] » et « qu’un changement de contexte de travail avec le retour dans un cadre connu comme le poste occupé précédemment pourrait être proposé ».

Lors des recherches effectuées par l’employeur, il avait précisé dans ses demandes la mention du médecin du travail, à savoir « un reclassement pourrait être envisagé sur un poste tel qu’occupé précédemment (…) ». La cour d’appel estimait qu’il avait donc satisfait son obligation de reclassement.

La Cour de cassation n’est pas du même avis et casse l’arrêt d’appel : les juges du fond ont violé l’article L.1226-2 du code du travail applicable à l’espèce (2014) alors qu’ils avaient constaté l’existence de plusieurs postes d’éducateur spécialisé pourvus par CDD sans être proposés à la salariée. En effet, l’employeur est tenu de proposer un emploi approprié à ses capacités, un poste aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé.

En l’espèce, l’employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat en ne proposant pas les postes d’éducateur spécialisé pourvus par des CDD à la salariée, alors qu’ils étaient des postes disponibles, compatibles avec son état de santé et avec ses qualifications, peu important qu’ils soient à durée limitée. Le licenciement pour inaptitude en raison d’absence de possibilité de reclassement est sans cause réelle et sérieuse.

Par conséquent, l’employeur doit proposer au salarié inapte en attente de reclassement les postes disponibles en CDI, mais également en CDD, au risque de ne pas respecter son obligation de reclassement. 

Cet arrêt fait suite à un précédent arrêt de la cour de cassation rendu le 5 mars 2014 (12-24.456) dans lequel une cour d’appel avait été censurée pour avoir validé le licenciement pour inaptitude en raison de l’impossibilité de reclassement alors qu’un poste en remplacement d’une salariée en congé maternité était disponible.

 

La volonté de sécuriser les forfaits-jours n’est pas toujours récompensée 

Cass. Soc. 16 octobre 2019 n°18-16.539

Les avenants de sécurisation des dispositions conventionnelles sur le forfait-jours conclus avant l’entrée en vigueur de la loi Travail du 8 août 2016 ne s’appliquent pas directement aux conventions individuelles de forfait en cours d’exécution.

Depuis 2011, au visa du droit européen, la cour de cassation exige que toute convention de forfait en jours soit prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires (Cass. soc. 29-6-2011 n°09-71.107).

Faute de garanties suffisantes afin d’assurer la protection de la santé et la sécurité des salariés, la cour de cassation reconnait la nullité des conventions individuelles de forfait en jours, en ouvrant droit pour les salariés concernés, au rappel des heures supplémentaires.

La loi Travail du 8 août 2016 nº 2016-1088, en réponse à cette jurisprudence, a alors ouvert la possibilité de mettre en conformité les dispositions conventionnelles collectives sans que l’employeur n’ait à requérir l’accord des salariés concernés. Les avenants de sécurisation ainsi conclus après le 8 août 2016 s’appliquent automatiquement aux conventions individuelles de forfait en jours en cours d’exécution.

En revanche, faisant une interprétation stricte de la loi Travail, la cour d’appel de Paris, confirmée par la cour de cassation, a jugé que les avenants de sécurisation des dispositions conventionnelles conclus avant l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016 ne bénéficient pas de la souplesse légale dispensant l’employeur de signer de nouvelles conventions individuelles.

La cour de cassation dans son arrêt du 16 octobre 2019, confirme ainsi la position de la cour d’appel qui a précisé qu’il appartenait à l’employeur de soumettre aux salariés de nouvelles conventions, faute de quoi les conventions individuelles de forfait en cours d’exécution sont nulles.

Si la lettre de la loi Travail annonçait une telle décision, elle n’en demeure pas moins sévère à l’égard des branches ou entreprises ayant cherché à sécuriser leurs dispositions conventionnelles collectives avant même que le législateur n’intervienne.

 

CDD de remplacement sans terme précis : la fin du contrat doit-elle être notifiée par écrit ?

 Cass. Soc., 18 septembre 2019 n°18-12.446 FS-PB

Un CDD conclu pour le remplacement d’un salarié absent doit être conclu pour une durée minimale, mentionnée au contrat, dont le terme est la fin de l’absence du salarié remplacé, correspondant à son retour dans l’entreprise ou la cessation définitive de son activité (C. trav., art. L. 1242-7).

L’arrivée de ce terme entraine en principe la rupture de plein droit du CDD conclu pour son remplacement. En revanche, si le salarié remplaçant continue de travailler après le terme, le CDD doit être requalifié en CDI (article L.1243-11 du code du travail).

Il appartient donc à l’employeur de prévenir le salarié remplaçant de l’arrivée du terme du contrat, et de rapporter la preuve de cette information.

Dans cette affaire, une salariée est embauchée en CDD pour remplacer une salariée en congé maladie pour une durée minimale de deux mois et huit jours. Deux ans et huit mois plus tard, la salariée en congé maladie est licenciée pour inaptitude. Le jour de la notification du licenciement, la salariée qui la remplace est informée par l’employeur, par téléphone, que son CDD prend fin. Un courrier lui est adressé le lendemain, confirmant la rupture du contrat de travail. La salariée ne tient pas compte de l’appel téléphonique, et revient travailler le lendemain, puis demande aux juges de constater que son CDD s’est poursuivi après la cessation d’activité de la salariée remplacée, et donc de requalifier son CDD en contrat à durée indéterminée.

La cour d’appel, déboute la salariée. Cette dernière ayant été informée par un appel téléphonique de la fin de son CDD le jour même de la notification du licenciement de la salariée remplacée, le CDD de remplacement avait été valablement rompu. La salariée forme un pourvoi.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et considère que l’employeur n’est pas tenu de notifier par écrit l’arrivée du terme du contrat. En effet, les dispositions légales ne prévoient pas les modalités d’information du salarié de la fin de son CDD de remplacement et n’exigent donc pas expressément que l’employeur y mette fin par écrit. Un simple appel téléphonique le jour où l’absence de la salariée a définitivement pris fin était donc suffisant pour notifier valablement la rupture du CDD.

 

Saisine directe du Bureau de jugement en cas de demande de requalification de la démission

Cass. soc., 18 septembre 2019, n°18-15765, FS6P+B

La requalification d’une démission en prise d’acte aux torts de l’employeur peut-elle être directement portée devant le bureau de jugement ?

L’article L. 1451-1 du Code du travail prévoit que, lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement (sans conciliation), qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine.

Dans cette affaire, une salariée démissionne sans réserve de ses fonctions le 24 avril 2013, et saisit, le 6 octobre 2014, la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de sa démission en une prise d’acte aux torts de l’employeur. L’affaire est portée directement devant le bureau de jugement.

Par jugement du 21 janvier 2016, le Conseil de Prud’hommes décide de renvoyer l’affaire devant le bureau de conciliation.

Selon l’employeur qui se pourvoit en Cassation :

  • Devant le Conseil de prud’hommes, l’affaire ne peut être portée directement devant le bureau de jugement que lorsque le salarié sollicite la qualification de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits que le salarié reproche à son employeur et non pas lorsqu’il a démissionné sans réserve ;
  • L’action est prescrite lorsque le bureau de jugement est saisi de la qualification d’une démission sans réserve plus de deux ans à compter de celle-ci.

La Cour de Cassation rejette le pourvoi et considère que l’article L. 1451-1 du Code du travail ne fait pas de distinction entre une rupture du contrat de travail par prise d’acte du salarié aux torts de l’employeur et une rupture résultant d’une démission dont il est demandé la requalification.

La demande de requalification de la démission peut donc être directement portée devant le bureau de jugement.

 

Harcèlement sexuel – Irrecevabilité de la constitution de partie civile d’un employeur 

Cass. Soc., 4 septembre 2019 n°18-83480 D

Dans cette affaire, deux salariées d’une commune avaient déposé plainte contre leur supérieur hiérarchique pour avoir subi des propos et comportement à caractère sexuel. Ce-dernier avait été condamné par le Tribunal Correctionnel, 

du chef de harcèlement sexuel sur les deux salariées, à la peine d’un an d’emprisonnement et à verser des dommages et intérêts à ces deux salariées ainsi qu’à son employeur, la commune.

La question de la recevabilité de l’action civile de l’employeur à l’encontre de son salarié était soumise à la Cour de Cassation.

L’intérêt pour l’employeur de se constituer partie civile réside dans l’absence d’exigence par le juge pénal de la caractérisation d’une faute lourde (contrairement au juge civil) pour condamner le salarié à lui verser des dommages et intérêts.

Pour dire la constitution de partie civile recevable, la Cour d’Appel a retenu que le salarié condamné appartenait au personnel d’encadrement et que les faits avaient été commis dans l’exercice de ses fonctions. En conséquence, la Cour d’Appel a considéré que les faits avaient indiscutablement jeté le discrédit sur les services de la Commune.

La Chambre Criminelle casse l’arrêt de la Cour d’Appel et considère que le délit de harcèlement moral relève de la catégorie des atteintes à la personne humaine dont la sanction est exclusivement destinée à protéger la personne, et ne pouvait occasionner pour la commune un préjudice personnel et direct.

Cette décision est étonnante au regard de la décision qu’a adopté la même Chambre le 14 novembre 2017 (Crim. 14 nov.2017 n°16-85161) s’agissant de faits de harcèlement moral qui relèvent également des atteintes à la personne. Dans cette affaire, la Cour de Cassation a considéré recevable la constitution de partie civile de l’employeur sans s’interroger sur l’existence d’un préjudice personnel et direct.

De nouvelles décisions sont donc attendues afin que la Cour de cassation précise sa jurisprudence.