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Et si votre prestataire informatique défaillant n’est pas l’entité signataire du contrat ?

06 décembre 2021 | Derriennic Associés|

Une société spécialisée dans la production d’emballages destinés au conditionnement industriel agroalimentaire et une société spécialisée dans la distribution de ces emballages ont recours aux services d’un prestataire informatique qui propose différentes solutions informatiques en matière de gestion. Les deux sociétés clientes souscrivent chacune en 2017 à l’offre commerciale du prestataire portant sur l’implémentation d’une solution logicielle standard éditée par un tiers, prestations de mise en œuvre et versement mensuel pour couvrir les coûts d’utilisation. Les contrats contiennent un volet formation, assistance via une aide en ligne et maintenance corrective et évolutive des logiciels afin de garantir une exploitation normale et pérenne desdits logiciels de gestion à ses clients.

Rapidement, les clients ont rencontré des difficultés pour installer et paramétrer les solutions et la mise en production a été décalée. La situation est restée ensuite difficile, de nombreux dysfonctionnement ont été répertoriés et le prestataire n’a pas apporté les solutions nécessaires.

En 2019, les clients ont mis en demeure le prestataire de rendre les logiciels opérationnels. Cette mise en demeure n’a pas été suivie d’effet, ce dernier expliquant que les problèmes étaient dus à la rigidité des demanderesses face au changement.

Après un référé expertise, l’expert judiciaire a déposé son rapport début 2020, mettant en exergue des dysfonctionnements, pour la quasi-totalité attribuée au prestataire informatique ; toutefois, si un plan d’actions correctives avait bien été établi par ce dernier, il n’avait pas été réalisé alors que l’expert estimait que la plupart des dysfonctionnements pouvaient être résolus.

Dans ce contexte, les clients ont assigné leur prestataire devant le Tribunal de commerce de Rennes aux fins de faire reconnaître la responsabilité de celui-ci dans les dysfonctionnements des solutions informatiques installées, le condamner à procéder aux actions préconisées dans le rapport d’expertise sous astreinte, et à payer des dommages et intérêts.

Le prestataire demande au Tribunal de déclarer irrecevables les demandes à son encontre, n’étant pas signataire des contrats. Ainsi la société « ALTICAP » assignée explique que les contrats ont été signés avec la société « ALTISAAS », autre société du groupe, et non avec elle-même.

Les demanderesses prétendent qu’ALTICAP a bénéficié d’un mandat apparent. Elles s’appuient notamment sur la jurisprudence de la Cour de cassation (Ass. Plen. 13 décembre 1962, 57-11.569).

Le Tribunal va examiner en détail les documents et relever tout un faisceau d’indices (papier à en-tête, nom en première page, taille de la police, adresse du site internet, adresses emails des interlocuteurs, pieds de page, descriptif des acteurs dans le texte du contrat, présentation des factures, documents utilisés pendant la procédure et les opérations d’expertise…) pour constater que les clients pouvaient légitimement croire en l’existence et dans les pouvoirs d’un mandat apparent de la société ALTICAP pour engager les autres sociétés du groupe ALTICAP, précisant que les sociétés intervenant dans les prestations encadrées par ces contrats sont toutes présidées par la SAS ALTIGROUP qui semble faire fonction de holding animatrice. Les clients sont donc bien fondés à poursuivre la société ALTICAP en sa qualité de mandataire apparent.

Sur le fond, s’appuyant sur les constats et les conclusions formulées par l’expert dans son rapport, le Tribunal va juger qu’il y a eu une mauvaise exécution du contrat et retenir la responsabilité contractuelle du prestataire.

Le rapport relevait notamment que :

  • si des anomalies sont imputables à l’éditeur du logiciel, les manques d’explication et l’absence de mise en œuvre de solutions de contournement simples sont à mettre sur le compte du prestataire ;
  • des dysfonctionnements sont liés à des défauts de paramétrage de la solution et d’autres sont dus à des limites fonctionnelles de la solution qui aurait dû donner lieu à une information précise de la part du prestataire et à la proposition de solution ;
  • les dysfonctionnements de la solution auraient mérité, de la part du prestataire, une meilleure information aux équipes clientes, petites structures sans service informatique, ce que le prestataire ne pouvait ignorer, lui imposant un devoir d’explication et de conseil qui s’est avéré insuffisamment assumé.

Pour autant, le Tribunal ne va pas faire pas droit à la demande de résiliation des contrats aux torts exclusifs du prestataire pour cause d’inexécution grave de ces contrats.

Le Tribunal va notamment constater que les prestations se poursuivent même si elles laissent à désirer et que l’exécution du contrat peut être qualifiée de partielle, l’éditeur palliant certaines incapacités des défenderesses. Le Tribunal relève en outre que les clients n’ont pas formellement mis en demeure le prestataire préalablement à la demande de résiliation judiciaire des contrats.

S’agissant du préjudice, les clients font valoir que durant plus de trois années, les dysfonctionnements ont pesé sur leur activité, leur faisant subir un préjudice financier au titre du temps passé par leurs salariés pour implémenter la solution logicielle, préjudice évalué à 100.000€ dont ils demandent réparation.

Le Tribunal va les débouter, considérant que le temps a été passé par les salariés, non en heures supplémentaires, mais pendant les heures normales de présence au travail consacrées aux travaux pour paramétrer les logiciels, vérifications, corrections d’erreurs, échanges de mails et d’informations nécessités par les dysfonctionnements rencontrés dans l’implémentation des logiciels.

Les clients demandent également le remboursement des factures de maintenance que le prestataire a continué à émettre alors qu’il n’intervenait pas sur les difficultés rencontrées dans la mise en place et l’utilisation des logiciels et n’en réalisaient pas la maintenance.

Le Tribunal ayant déjà constaté qu’il y a avait eu une inexécution partielle du contrat, situation qui a pesé sur les tâches quotidiennes des équipes des deux demanderesses, juge que celles-ci ont subi un

préjudice, et qu’en conséquence, elles doivent en être indemnisées par une réfaction de 40% de leurs factures de prestations émises durant trois années.

Enfin, le Tribunal fera partiellement droit à la demande reconventionnelle du prestaire concernant le paiement des factures et ordonnera la compensation.