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Décompiler un logiciel pour corriger des erreurs : possible pour la CJUE !

06 décembre 2021 | Derriennic Associés|

Le litige opposait un développeur de logiciels, TOP SYSTEM, à l’Etat Belge, concernant la décompilation (reconstitution du code source par le code objet) par le bureau de sélection des collaborateurs de l’administration fédérale belge, SELOR, d’un logiciel standard développé par TOP SYSTEM. Ce logiciel était embarqué dans une solution plus globale comportant également des applications spécifiques mises au point par TOP SYSTEM pour les besoins de SELOR et pour laquelle SELOR bénéficie d’une licence d’utilisation.

A la suite de différends relatifs à des problèmes de fonctionnement de certaines applications utilisant le logiciel, TOP SYSTEM aurait constaté que SELOR a réalisé elle-même une décompilation dudit logiciel à des fins de correction des erreurs du programme concerné. Considérant que la décompilation ne peut être réalisée que sur autorisation de l’auteur ou à des fins d’interopérabilité, TOP SYSTEM a saisi les juridictions belges afin de constater l’illégalité de cette démarche et obtenir des dommages et intérêts.

C’est dans ce cadre que la CJUE a été saisie en interprétation de la Directive 91/250 sur la protection juridique des programmes d’ordinateur (la « Directive ») et plus précisément de ses articles 5 et 6 (à noter que cette Directive a été abrogée, mais la Directive 2009/24/EC, qui l’a remplacée, a repris ces dispositions). En substance, l’article 5 prévoit la possibilité pour le licencié de reproduire, traduire, adapter, arranger, etc. un logiciel sans l’autorisation de son auteur lorsque ces actes sont nécessaires pour permettre à l’utilisateur d’utiliser le logiciel conformément à sa destination y compris pour corriger des erreurs, sauf dispositions contractuelles spécifiques. L’article 6 prévoit, quant à lui, la possibilité pour l’utilisateur de décompiler un logiciel, sans l’autorisation de son auteur, à des fins d’interopérabilité et ce, dans des conditions strictement encadrées.

La question épineuse est donc de savoir si la décompilation est implicitement visée dans le droit à corriger les erreurs, prévu à l’article 5 et, le cas échéant, si les conditions strictes de l’article 6 sont à respecter.

La CJUE a d’abord jugé que la décompilation d’un logiciel implique l’accomplissement d’actes relevant des droits exclusifs de l’auteur : reproduction du code du programme et traduction de la forme de ce code.

Ensuite, se basant en particulier sur les travaux préparatoires et les considérants de la Directive, la CJUE a considéré que :

  • l’article 5 de la directive doit être interprété en ce sens que l’acquéreur légitime d’un programme est en droit de procéder à la décompilation de ce programme afin de corriger les erreurs affectant celui-ci ;
  • l’article 6 ne saurait être interprété en ce sens que la décompilation ne serait permise qu’à des fins d’interopérabilité.

A cet égard, la Cour a précisé que l’article 6 concerne les actes nécessaires pour assurer l’interopérabilité de programmes créés indépendamment, tandis que l’article 5 vise à permettre à l’acquéreur légitime d’un programme de l’utiliser de manière conforme à sa destination.

Ainsi, dans cette affaire, la CJUE a jugé que « l’acquéreur légitime d’un programme d’ordinateur est en droit de procéder à la décompilation de tout ou partie de celui-ci afin de corriger des erreurs affectant le fonctionnement de ce programme, y compris quand la correction consiste à désactiver une fonction qui affecte le bon fonctionnement de l’application dont fait partie le programme. »

Aussi, pour la Cour, si cet acquéreur n’est pas tenu de satisfaire aux exigences de l’articles 6 de la directive, il n’est en droit de procéder à une telle décompilation que dans la mesure nécessaire à cette correction et dans le respect, le cas échéant, des conditions prévues contractuellement avec le titulaire du droit d’auteur sur ledit programme. A cet égard, la Cour a notamment estimé que « lorsque le code source est légalement ou contractuellement accessible à l’acquéreur du programme, il ne saurait être considéré qu’il est nécessaire pour lui de procéder à une décompilation. ». La Cour a également ajouté que les parties ne peuvent exclure contractuellement toute possibilité de procéder à une correction de ces erreurs ; toutefois, le titulaire des droits et l’acquéreur demeurent libres d’organiser les modalités d’exercice de cette faculté (par exemple, en prévoyant que le titulaire des droits doit assurer la maintenance corrective du programme concerné).

Le licencié et le titulaire des droits sur un logiciel sont donc avertis : le contrat doit prévoir le modus operandi pour corriger les erreurs et les éventuels actes de décompilation liés pour échapper à toute difficulté en cas de différend…