
Les expertises judiciaires en matière informatique peuvent être particulièrement longues. L’action au fond peut ainsi être introduite plusieurs années après le début du litige… sous réserve néanmoins que l’action ne soit pas prescrite. L’arrêt de la 3e chambre civile de la Cour de cassation du 6 mars 2025 est l’occasion de revenir sur le couperet de la prescription et sur le bénéfice de sa suspension.
Rappelons la règle procédurale
L’article 2239 du Code civil dispose que « la prescription est (.) suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ».
La jurisprudence interprète, néanmoins, strictement le jeu de cette suspension.
La prescription n’est suspendue que pour les actions qui tentent au même but que la demande d’expertise
On ne saurait que rappeler le principe selon lequel la suspension de la prescription ne concerne que les actions au fond tendant au même but que l’action en référé.
Ainsi, une expertise judiciaire sur les causes et conséquences de désordres et malfaçons interrompra le délai de prescription de l’action au fond en responsabilité civile contractuelle. A l’inverse, elle ne suspend pas la prescription de l’action en nullité du contrat, puisqu’elle ne tend pas au même but (Cass. Civ 3, 17 octobre 2019, n° 18-19611)…
La prescription n’est suspendue qu’au bénéfice du demandeur de l’expertise judiciaire
Indépendamment de la nature des actions concernées, force est de constater que la suspension de la prescription ne bénéficie pas de la même manière aux parties à l’expertise judiciaire.
Seule la partie qui a sollicité la mesure d’instruction en référé est susceptible de s’en prévaloir, comme le rappelle régulièrement la Cour de cassation .
L’arrêt de la 3e chambre civile du 6 mars 2025, en matière de construction, est l’occasion de revenir sur les risques associés à la prescription, et à sa suspension éventuelle, à l’issue d’une mesure d’expertise judiciaire.
Revenons sur les faits. Cette fois-ci pas d’expertise informatique, mais une expertise en matière de construction.
Le maître de l’ouvrage initie une action en référé-expertise sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile. L’expert est chargé de mesures d’instruction techniques, concernant la détermination de l’origines des désordres, mais également, comme souvent, économiques, pour établir les comptes entre les parties. Néanmoins, c’est bien le maître de l’ouvrage et non le prestataire qui a formulé cette demande de désignation d’expert. A noter par ailleurs que le prestataire avait formé en référé une demande de provision. Demande rejetée par le juge des référés.
A la suite de la remise du rapport d’expertise, le maître de l’ouvrage assigne au fond ses prestataires et leurs assureurs. Le prestataire forme des demandes reconventionnelles en paiement de ses factures.
Demande rejetée par les juges du fond au motif de la prescription de leur action en paiement.
En cassation, le pourvoi du prestataire est rejeté au motif que la suspension de la prescription ne peut bénéficier qu’à la partie qui a sollicité l’expertise en référé.
Pour éviter ce couperet, le défendeur à l’expertise devra veiller à interrompre soi-même la prescription, en s’associant à tout ou partie de la demande de désignation de l’expert et en formant des demandes reconventionnelles de modification de la mission de l’expert, voire en assignant, au fond, à titre conservatoire durant la mission de l’expert.
Source : Cass civ. 3. 6 mars 2025, n°23-16269, publié au bulletin