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Exploitants de site internet : soyez vigilants sur le potentiel contrefaisant de vos liens hypertextes

27 octobre 2017 | Pierre - Yves MARGNOUX|

Si le placement d’un lien hypertexte est à bien des égards (notamment en termes de simplicité et d’économie) un formidable outil pour les exploitants de site internet, il ne s’agit pas d’un acte aussi anodin qu’il y paraît.

Intrinsèquement lié au fonctionnement d’internet et à la liberté d’information, le placement de liens hypertextes se heurte toutefois à certaines limites, telles que celles touchant notamment aux droits bénéficiant aux auteurs d’œuvres protégées. Ce délicat équilibre a donné lieu, ces dernières années, à plusieurs jurisprudences de principe, majoritairement au niveau de l’Union Européenne.

En 2014, la Cour de Justice de l’Union Européenne a ainsi jugé qu’un hyperlien renvoyant à un contenu dont la communication avait déjà été autorisée par son auteur était licite, pour autant que ledit lien ne permette pas de toucher un public « nouveau » (c’est-à-dire de contourner des restrictions d’accès – cf. CJUE 13/02/2014, aff. C-466-12 « Sevensson »). Elle a également considéré que placer un lien hypertexte utilisant la technique de la « transclusion » (permettant d’incruster directement sur un site le contenu d’un autre site lié) n’était pas illicite à la double condition que (i) cette mise à disposition ne touche pas un public nouveau et (ii) que la technique utilisée ne diffère pas de celle mise en œuvre par le site originaire.

Par un arrêt très attendu du 8 septembre 2016, la CJUE a dévoilé sa position sur la légalité du placement d’un lien hypertexte permettant l’accès à une œuvre publiée sur un autre site internet, cette fois-ci sans l’autorisation initiale de l’auteur. Sur cette épineuse question, les juges européens ont dégagé une solution et des critères d’appréciation du caractère condamnable ou non d’un tel acte qui ne sont pas sans bouleversements. Ainsi, selon la CJUE :

le placement de tels liens est licite lorsque la personne qui place ce lien agit sans but lucratif et sans connaître l’illégalité de la publication des œuvres auxquelles il renvoie.
A contrario, un tel placement est illicite (i) s’il est établi que la personne ayant placé le lien savait ou devait savoir que le lien en question donnait accès à une œuvre illégalement publiée (par exemple lorsqu’elle en a été avertie par les titulaires du droit d’auteur) ou (ii) si le lien permet aux utilisateurs de contourner des mesures de restriction prises par le site où se trouve l’œuvre protégée (par exemple afin d’en restreindre l’accès à ses seuls abonnés).
Enfin, placer un lien hypertexte sera un acte présumé illicite si le lien est fourni dans un but lucratif (l’auteur du placement devant opérer les vérifications nécessaires) : la connaissance du caractère illégal de la publication du contenu sur le site originaire est ainsi être présumée, sauf preuve contraire.
Cette récente décision laisse toutefois certains points en suspens tels que la définition de la notion de « but lucratif » (les blogs affichant des publicités ciblées et les sites vitrines d’un commerçant seront-ils considérés comme des sites poursuivant un tel but ?) ainsi que le degré de connaissance de l’illégalité du lien (preuve qui est d’ailleurs difficile à rapporter en pratique) qu’il appartiendra à la jurisprudence de préciser.

Aussi, s’il convient de nuancer la portée de cette décision, limitée aux liens renvoyant à des contenus protégés par le droit d’auteur (et non par les droits voisins cf. en ce sens Cour d’appel de Paris 2 février 2016 Playmedia / France Télévisions), ce qui requiert ainsi la démonstration par l’auteur concerné de l’originalité du contenu (notion appréciée strictement par les juges français), il n’en reste pas moins que cette décision de principe lie désormais les tribunaux français, et invite les exploitants de site internet à la plus grande vigilance dans leur « liberté de lier ». A suivre…

Pierre-Yves MARGNOUX

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