Le respect des mesures de confinement se heurte à la négociation collective classique, qu’elle soit réalisée avec les délégués syndicaux ou, de manière dérogatoire, avec les représentants du personnel.
Conscients de l’impératif de maintenir le dialogue social durant cette période, les pouvoirs publics ont adapté les modes de communication possibles, d’abord par plusieurs préconisations figurant au Questions-Réponses du Ministère du travail le 29 mars 2020, puis aux termes du décret n°2020-419 du 10 avril 2020 et de l’ordonnance n°2020-428 du 15 avril 2020.
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Avec qui négocier ?
Sauf à ce que le salarié soit malade, donc physiquement incapable d’exercer son mandat, la suspension du contrat de travail, résultant notamment du placement en activité partielle, n’entraîne pas la suspension du mandat (CE 13 nov. 1987, n°68104).
Les délégués syndicaux ainsi que les élus du CSE conservent donc leur plein mandat, ainsi que, par conséquent, la possibilité d’utiliser leurs heures de délégation (Cass. soc. 10 janv. 1989, n° 86-40350).
Celles-ci doivent leur permettre de préparer les réunions, de communiquer avec les salariés sur les mesures en place ou encore, si une partie de l’établissement reste ouverte, de leur permettre de s’y rendre en y respectant les gestes barrière, l’employeur devant leur délivrer dans ce cas le justificatif de déplacement professionnel.
Enfin, notons que l’article 3 de l’ordonnance n°2020-389 du 1eravril 2020 a suspendu les processus électoraux en cours et prorogé les mandats des élus.
De cette manière, le dialogue social se trouve ainsi maintenu.
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Comment organiser les réunions de négociation ?
Qu’il s’agisse des réunions tenues avec les organisations syndicales ou avec les membres élus du CSE, le Ministère recommande à toutes les entreprises et branches professionnelles de privilégier les réunions à distance.
Le Ministère du travail rappelle que les réunions peuvent se tenir en vidéo-conférence ou en audioconférence, dès lors que le principede loyauté de la négociation collective est respecté, ce qui implique la présence de toutes les parties à lanégociation.
Cette règle suppose donc que l’ensemble des parties à la négociation soit convoqué aux réunions, sous peine de nullité de l’accord (Cass. soc., 12 oct. 2006, nº05-15069).
Ce n’est qu’en présence d’un « caractère d’urgence à la négociation (respect du calendrier législatif ou conventionnel des négociations, nécessités liées à la réponse à la crise sanitaire) » et que « la réunion des négociateurs peut être organisée en respectant les consignes de sécurité sanitaire et les gestes barrières », que la négociation peut se tenir en présentiel indique le Ministère.
Les mêmes principes s’appliquent aux élus.
Ainsi qu’il s’agisse des réunions pour lesquelles le CSE est seulement consulté ou des réunions pour lesquelles l’entreprise négocie avec ce dernier un accord collectif de manière dérogatoire, le décret du 10 avril 2020 incite et sécurise les réunions organisées à distance.
Le recours à la visioconférence est exceptionnellement autorisé pour l’ensemble des réunions du CSE et du CSE central, après que l’employeur en a informé leurs membres (Ord. art. 6, I-al. 1).
L’employeur peut également choisir de recourir à la conférence téléphonique, après en avoir informé les élus.
A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où ces deux derniers modes de communication seraient impossibles à mettre en place, l’employeur peut encore choisir de recourir à un dispositif de messagerie instantanée (Ord. art. 6, III-al. 1).
Bien que ce mode de communication n’ait pas été envisagé par le Ministère pour négocier avec les délégués syndicaux, rien n’interdit, à notre sens, d’y recourir sous réserve d’y calquer les garanties techniques prévues par le décret pour le CSE.
Ainsi, dans tous les cas, le mode de communication choisi devra garantir l’identification de ses membres, ainsi que leur participation effectiveen assurant la retransmission continue et simultanée du son des délibérations. Il ne doit pas faire obstacle à des suspensionsde séance (C. Trav., art. D.2315-1 ; Décret 2020-419 art. 1er, I, al. 1).
Enfin, les mêmes principes s’appliquent pour la consultation à distance du personnel, afin de pouvoir faire approuver un accord à la majorité.
Le Ministère indique que les salariés en activité partielle peuvent parfaitement participer à cette consultation.
Il est enfin précisé que le dispositif technique mis en place doit garantir la confidentialité du vote et l’émargement des personnes consultées.
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Comment signer l’accord collectif ?
Plusieurs solutions sont envisagées pour la signature à distance des accords collectifs.
Le Ministère du travail précise qu’il est possible « d’envoyer le projet soumis à signature à l’ensemble des parties à la négociation afin que chacune le signe manuellement », selon l’une des modalités suivantes :
- « Si les signataires disposent de moyens d’impression : ils impriment le projet, le paraphent et le signent manuellement puis le numérisent (ou prennent en photo chaque page avec leur téléphone en s’assurant que le document soit lisible) et renvoientle document signé ainsi numérisé par voie électronique » ;
- « S’ils ne disposent pas de moyens d’impression : un exemplaire du projet d’accord soumis à signature à chaque partie à la négociation peut être envoyé par courrier ou porteur.Une fois l’exemplaire reçu, chaque signataire peut signer et parapher puis numériser (ou prendre en photo) le document et le renvoyer par voie électronique. »
- S’il n’est pas possibleque les signatures de l’ensemble des parties figurent sur le même exemplaire, « l’accord ainsi signé sera constituéde l’ensemble des exemplaires signés par chaque partie ».
Par ailleurs, le Ministère rappelle que les partenaires sociaux peuvent sedonner mandat pour signer un accord collectif. Dans ce cas, « l’organisation syndicale peut définir précisément dans son mandat la version du projet d’accord qui emporte son consentement ou pour lequel elle donne mandat à l’organisation professionnelle ou à l’employeur ». Le ministère recommande « que le mandat soit écrit pour en faciliter la preuve, mais il peut résider en un simple email pour autant que l’on puisse en identifier l’auteur. »
Enfin, les entreprises et les branches professionnelles peuvent mettre en place un dispositif de signature électroniquerépondant aux exigences réglementaires nationales et européennes, à savoir :
- être liée au signataire de manière univoque,
- permettre d’identifier le signataire,
- avoir été créée à l’aide de données de création de signature électronique que le signataire peut, avec un niveau de confiance élevé, utiliser sous son contrôle exclusif,
- être liée aux données associées à cette signature de telle sorte que toute modification ultérieure des données soit détectable ».
Cette solution, souligne le Ministère, est parfaitement sûre juridiquement : « une signature électronique délivrée par un prestataire de services de certification électronique ayant la même valeur qu’une signature manuscrite ».
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Des délais aménagés durant la crise sanitaire
L’état d’urgence sanitaire nécessitait également d’aménager les délais se rapportant à la conclusion des accords collectifs.
Ces délais concernent principalement le droit d’opposition ainsi que ceux relatifs aux modes de négociation dérogatoire en l’absence de délégué syndical dans l’entreprise.
L’ordonnance du 15 avril 2020 précise ainsi que :
– le délai d’opposition des organisations syndicales à un accord de branche (C. trav., art. L. 2232-6)est réduitde 15 à 8 jours,pour les accords conclus à compter du 12 mars 2020 qui n’ont pas encore été notifiés aux organisations syndicales à la date du 17 avril ;
– le délai pendant lequel des organisations syndicales peuvent faire part de leur souhait d’une consultation des salariés visant à valider un accord d’entreprise ou d’établissement (C. trav., art. L. 2232-12, al. 2) est réduit d’un mois à 8 jours;
– le délai pendant lequel des organisations syndicales peuvent signer un accord d’entreprise ou d’établissement, avant qu’il soit éventuellement soumis à la consultation des salariés (C. trav., art. L. 2232-12, al. 3)est réduit de 8 à 5 jours;
– le délai minimal pour organiser la consultation des salariés sur un projet d’accord de l’employeur dans les entreprises de moins de 11 salariés dépourvues de délégué syndical (C. trav., art. L. 2232-21)est réduit de 15 à 5 joursà compter de la communication à chaque salarié du projet ;
– le délai accordé aux élus mandatés par une organisation syndicale pour faire savoir qu’ils souhaitent négocier avec l’employeur, dans les entreprises employant au moins 50 salariés dépourvues de délégué syndical (C. trav., art. L. 2232-25-1, al. 2)est réduit d’un moins à 8 jours;
– le délai d’opposition des organisations patronales à l’extension des accords de branche, des accords professionnels ou interprofessionnels, et de leurs avenants ou annexes (C. trav., art. L. 2261-19, al. 3)est réduitd’un mois à 8 jours,pour les accords conclus à compter du 12 mars 2020 dont l’avis d’extension au Journal officieln’a pas été publié à la date du 17 avril.
Enfin, le décret nº 2020-441 du 17 avril 2020vient préciser, en matière d’extension des accords collectifs, que le délai imparti aux syndicats pour faire connaître leur observation lorsqu’un arrêté d’extension ou d’élargissement est envisagé est réduit de 15 à 8 jours. Il en est de même du délai initial d’un mois, réduit à 8 jours, pour que les syndicats sollicitent en ce cas la saisine du groupe d’experts.
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Le dépôt des accords collectifs en ligne
Le Ministère du Travail rappelle que les accords d’entreprisedoivent être déposés en ligne en veillant à « regrouper l’ensemble des exemplaires signés en un seul fichier PDF », le cas échéant.
Le Ministère adapte la procédure de dépôt du fait des circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie de Covid-19.
Ainsi, les branches doivent en priorité déposer leur accord par voie électronique à l’adresse depot.accord@travail.gouv.fr en joignant :
- les pièces habituellement requises (version Word anonymisée et justificatifs de notification de l’accord aux organisations syndicales représentatives),
- la version PDF de l’accord signé (ou une version de l’ensemble des exemplaires signés par chacune des parties s’il n’a pas été possible de faire figurer l’ensemble des signatures sur le même exemplaire)».
Le Ministère précise que « l’accord sera enregistré dès réception des pièces transmises par voie électronique » et que « le dépôt papier de l’original signé de l’accord peut être effectué postérieurement au dépôt de la version électronique ».
Lors du dépôt électronique d’un accord sur les congés conclu en application de l’ordonnance du 25 mars 2020, le Ministère conseille à la branche de « préciser dans l’objet de son mail « accord ordonnances Covid-19 » afin que l’accord soit enregistré en priorité », ainsi que de préciser si l’extension de l’accord est demandée.
Enfin, concernant les accords d’entreprise, le Ministère indique également que, pour en faciliter le traitement, tous les textes pris pour faire face aux conséquences de l’épidémie de COVID-19, et notamment ceux pris en application de l’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos, doivent faire l’objet d’une codification adaptée lors de la téléprocédure.
Lors de la saisie dans l’onglet « thèmes », le thème déclaré de niveau 1 doit être renseigné de la manière suivante : la modalité « Autres thèmes (Rémunération, Durée et aménagement du temps de travail, etc.) » doit être cochée, accompagnée de la mention rédigée « COVID ».
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En conclusion, des modalités adaptées mais des principes de base à respecter
De nombreuses dispositions et recommandations, bien qu’éparses, ont été prises par les pouvoirs publics afin de sauvegarder le dialogue social dans l’entreprise.
Les modes de communication à distance deviennent aujourd’hui la règle afin de respecter l’obligation de prévention et les mesures de confinement.
Ces adaptations ne doivent toutefois pas laisser croire à un assouplissement des règles du dialogue social.
Les principes de base, relatifs à la convocation, la négociation et la conclusion des accords collectifs (conditions, calendrier, etc.) demeurent, de sorte que les employeurs doivent rester vigilants en entrant dans le processus de négociation.
C’est pourquoi, tant sur le volet des nouvelles technologies que du droit social, le cabinet se tient ainsi naturellement au côté des entreprises afin que le dialogue social aboutisse sereinement.