CONTACT

La clause limitative d’indemnisation dite « de responsabilité »

01 mars 2017 | François-Pierre LANI| Expertises

Le 1er octobre 2016, l’ordonnance n°2016-131 relative à la réforme du droit des contrats est entrée en vigueur et il parait nécessaire, à la lumière de décisions récentes d’évaluer la force de cette clause contractuelle et le régime applicable.

Le principe, et pas n’importe lequel car il est constitutionnel, établit que toute personne a droit à la réparation de son entier préjudice. Toutefois, les parties peuvent convenir ensemble de limiter contractuellement le montant de la réparation d’un dommage en cas d’inexécution d’une obligation contractuelle par l’une d’elle. La clause limitative de responsabilité est donc un instrument qui permet de fixer en avance le montant des dommages qui seront réparés et ainsi gérer le risque d’inexécution contractuelle. Nouvellement régie par l’article 1231-3 du Code civil, cette clause s’est de plus en plus imposée dans les contrats et est devenue aujourd’hui un élément incontournable dans les relations contractuelles.

Genèse de la clause limitative de responsabilité

Forgée par les juges depuis 1993, la clause limitative de responsabilité (ou clause de réparation) a connu plusieurs évolutions. Partant, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel une telle clause ne pouvait être écartée qu’en cas de dol ou de faute lourde (Civ. 1ère, 24 février 1993, Bull. n°88). Deux conceptions de la faute lourde se sont alors dégagées dans la jurisprudence : une vision subjective (tenant au comportement du débiteur de l’obligation) et une vision objective (tenant au caractère essentiel de l’obligation inexécutée et à la gravité des conséquences du manquement constaté). Néanmoins, il est à noter qu’une divergence d’interprétation a vu le jour entre les chambres civile et commerciale autour de ces deux conceptions, retenant tantôt une vision objective de la faute lourde (Com., 22 octobre 1996, Chronopost ; Cass. Civ. 1ère, 23 février 1994), tantôt une vision subjective (Com., 9 juillet 2002, n°99-12.554). Il aura fallu attendre les arrêts de la chambre mixte du 22 avril 2005 pour fixer les critères retenus par les juges (Ch. Mixte, 22 avril 2005, n°02-18.326 et n°03-14.112). Toutefois, il s’agit de règles applicables à des contrats de transport en l’espèce. On distingue, à ce moment, à la clause émanant de la seule volonté des parties, impliquant que la faute lourde soit appréciée objectivement et la clause imposée par un contrat-type d’origine légale ou réglementaire, impliquant quant à elle une appréciation subjective dans l’inexécution de l’obligation (Com., 4 mars 2008 ; Com., 10 mars 2009). On peut alors se demander ce qu’ont donné ces applications dans d’autres domaines juridiques et notamment en matière de contrat de prestation de services informatique.s Il semblerait déjà qu’en dehors des contrats de transport la chambre commerciale ait déjà affirmé son attachement à la notion d’obligation essentielle (Com., 13 février 2007 ; Com., 9 juin 2009, n°08-10.350). Aujourd’hui, la jurisprudence encadrant la clause limitative de responsabilité a été consacrée dans le Code civil. En effet, la réforme du droit des contrats a emporté codification des critères dégagés par la jurisprudence Chronopost. Le nouvel article 1170 consacre cette jurisprudence et répute non écrite « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur ».

Les applications jurisprudentielles récentes de la Cour d’Appel de Paris et de celle de Reims

Par trois arrêts récents rendus en décembre 2016, la Cour d’appel de Paris nous fait une démonstration, qui ne laisse pas les juristes indifférents, de l’application de la clause limitative de responsabilité en matière de contrat de prestation de services informatique et télécom. D’une part, on note que la jurisprudence est très attachée à l’effet extinctif d’une telle clause car elle déboute systématiquement les demandes de dommages et intérêts annexes. Ainsi, dans son arrêt du 14 décembre 2016 opposant un éditeur de logiciel et son client, la Cour d’appel de Paris a fait droit au remboursement des sommes engagées par le client à hauteur de la clause de réparation. Cette dernière prévoyait un remboursement à « hauteur des sommes versées ». Les juges interprètent strictement cette clause et toute demande de réparation annexe est logiquement écartée. Cette interprétation stricte n’est pas toujours favorable bien que respectueuse de la volonté des parties. En effet, dans son arrêt du 16 décembre 2016, la Cour d’appel de Paris a condamné un fournisseur de moyens de télécommunication à rembourser à son client la somme de 10.000€ conformément à la clause de réparation alors que le préjudice lié à l’arrêt des services pendant deux jours était estimé à 500.000€ par le client. Pour les juges, la clause est jugée licite car elle ne prive pas le cocontractant de l’obligation essentielle ni de toute indemnité. De plus, en l’espèce le prestataire avait respecté ses obligations en envoyant sur les lieux dans un délai raisonnable un technicien. Cette interprétation stricte opérée par les juges ne s’arrête pas là et démontre une certaine forme de maîtrise de la clause limitative de responsabilité confortée par la codification des critères prétoriens. Dans la même lignée jurisprudentielle, la Cour d’appel de Paris a, dans son arrêt du 7 décembre 2016, débouté un client de toute demande indemnitaire au motif que la clause prévoyait une indemnisation à hauteur de 50% des sommes engagées par le client. Toutefois, ce dernier n’avait encore versé aucune somme. S’en tenant à la clause, la Cour d’appel a donc fait une interprétation stricte et a refusé toute forme d’indemnisation.

Enfin, un dernier arrêt, rendu par la Cour d’appel de Reims le 13 décembre 2016, nous rappelle l’utilisation du critère objectif par les juges dans la détermination de la validité d’une telle clause. En l’espèce, la clause exonérait l’éditeur de toute responsabilité quant aux résultats et performances du logiciel. Les juges ont considéré que la clause devait être réputée non-écrite car elle privait de tout effet l’obligation essentielle du contrat, quand bien même le contrat était souscrit entre deux professionnels.

On peut alors en conclure que ce type de clause est bien ancré dans la jurisprudence et désormais intégré dans le Code civil. Le critère qui prévaut demeure celui de l’obligation essentielle et des conséquences de la non-exécution de l’obligation. Cependant, il parait sage d’attendre la position de la Cour de Cassation notamment sur la licéité d’une clause d’indemnisation qui fixe le plafond « aux montants payés par le client ». Le doute est permis car le signataire d’une telle clause ne connait pas le plafond de celle-ci au moment où il signe. A suivre …

François-Pierre LANI

DERRIENNIC ASSOCIES