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La preuve de l’originalité, la clé de la protection par le droit d’auteur des logiciels d’intelligence artificielle

04 avril 2024 | Derriennic Associés|

Une société ayant pour activité l’édition d’une gamme de logiciels spécialisés dans la gestion de la fixation des prix (‘pricing’) et le traitement de données à des fins-marketing, exploite trois logiciels.

En avril 2011, la société reprend les actifs d’une société liquidée judiciairement.

En mai 2011, elle embauche le fondateur de cette société liquidée en qualité de Directeur Général Délégué (DGD) de l’activité « software ». Et en février 2013, ce dernier est licencié pour faute grave.

En mars 2014, deux salariés démissionnent. En août, l’ancien DGD licencié pour faute grave, créé une société concurrente qui a notamment pour activité l’exploitation de logiciels, de traitement et modélisation de l’information autour des Big data, laquelle embauche, par la suite, les anciens salariés ayant démissionnés.

La société soupçonne cette société alors concurrente de vendre une solution logicielle contrefaisant l’un de ses logiciels et fait appel à une société spécialisée dans les investigations informatiques afin de procéder à la copie du disque dur des postes informatiques de ses anciens salariés, aux fins d’analyse et identification d’éventuelles copies ou transferts de fichiers.

En octobre 2015, sur le fondement du rapport des experts informatiques, le TGI de Nanterre et le TGI de Lille saisis par la première société autorisent des opérations de saisie contrefaçon.

Le 6 novembre 2015, sur le fondement des opérations, l’éditeur assigne devant le Tribunal judiciaire de Lille la société concurrente pour contrefaçon, reproduction d’un logiciel et concurrence déloyale.

Le 10 juin 2022, le Tribunal judiciaire de Lille déboute la société de sa demande en contrefaçon de droits d’auteurs. Et le 29 juillet 2022, un appel de cette décision est interjeté.

Sur l’originalité du logiciel. La Cour d’appel de Douai commence par rappeler les principes en matière d’originalité du logiciel, à savoir l’arrêt Pachot du 7 mars 1986 de la Cour de cassation (Ass. plén., 7 mars 1986, pourvoi n° 83-10.477), laquelle retient qu’un logiciel était original lorsque son auteur l’avait marqué de son apport intellectuel. Cette originalité doit s’entendre d’un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante, et la matérialisation de cet effort réside dans une structure individualisée.

Cette originalité peut ressortir des « lignes de programmation, des codes ou organigramme, ou du matériel de conception préparatoire » (Cass. 1re civ., 14 nov. 2013, n° 12-20.687), abstraction faite du caractère innovant ou nouveau du logiciel qui ne permet pas de caractériser la notion d’originalité.

S’agissant de la preuve de l’originalité des logiciels, la Cour retient qu’elle pèse sur la société qui assigne en contrefaçon.

La société revendiquait des droits d’auteur sur un logiciel d’intelligence artificielle, qu’elle estimait « singulier » et se démarquant de la concurrence car « intégrant notamment une combinaison de fonctionnalités spécifiques, une présentation et des expressions singulières ; marquant l’empreinte de leur personnalité ».

La Cour d’appel de Douai retient que ces élémen²ts sont insuffisants à caractériser l’originalité du logiciel. Elle estime que la société n’effectue pas la moindre démonstration et « se contente toujours d’affirmations inopérantes voire particulièrement vagues ». Elle ne fait pas ressortir quels ont été ses choix par rapport aux concurrents ni dans quelle mesure il existe un apport intellectuel propre dans la conception de son logiciel ou un effort personnalisé.

La production par la société de l’existence d’un enregistrement des logiciels auprès de l’APP (Agence pour la Protection des Programmes) n’atteste pas de l’originalité des logiciels mais permet simplement de se préconstituer une preuve de droits éventuels.

De plus, les éléments techniques recueillis par les experts informatiques mettent en lumière que, bien qu’il puisse exister une parenté avec le logiciel accusé d’être contrefaisant, cette parenté est liée soit à un même spectre fonctionnel, soit au style et au choix d’architecture faite par un même développeur, soit à l’usage d’outils et de technologies disponibles en ligne sur le marché ou sur internet (Java, Apache, Tomcat, Oracle, Smartgwt), qui ne permettent pas de caractériser l’originalité.

La Cour se fonde également sur les différences entre les codes-sources des logiciels, relevés par l’expertise.

Conclusion. Au regard de tous ces éléments, la Cour d’appel confirme la décision de première instance en ce qu’elle a, à juste titre, écarté toutes demandes de la société au titre de la contrefaçon car la société ne rapporte pas la preuve de l’originalité dudit logiciel.

Plus que ça, la Cour d’appel de Douai vient caractériser une faute de la société, pour nuisance à la contractualisation, et la condamne notamment au versement de 400.000 € à la société concurrente. En effet, elle avait ciblé les clients de la société concurrente afin de l’affaiblir le plus possible, notamment en parlant de la procédure pendante et en instrumentalisant le litige en cours.

Source : COUR D’APPEL DE DOUAI, 2e CHAMBRE, SECTION 2, 8 FEVRIER 2024, N° 22/03719