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La publicité de décisions de justice non définitives peut être qualifiée de dénigrement

05 mars 2016 | Derriennic Associés |

Cour d’appel de Paris, pôle 5 – ch. 4, arrêt du 27 janvier 2016 Everything for Riders / Lamalo

Lorsqu’une décision de justice fait l’objet d’une communication, il est vivement conseillé d’adopter un style journalistique neutre afin d’éviter toute condamnation pour dénigrement.

Rappelons que pour caractériser le dénigrement, il n’existe pas d’exception de vérité (comme en matière d’infraction de presse) : la divulgation d’une information exacte ou de notoriété publique peut donc coûter cher (dans l’affaire commentée la condamnation s’élève à 100.000 euros) si son auteur ne prend pas toutes les précautions utiles.

Une société avait communiqué sur une décision de première instance qui condamnait l’un de ses concurrents pour concurrence déloyale en ces termes :

« Objet : Seventyone-Percent condamné pour concurrence déloyale envers Jeewwin “ Le saviez-vous ?
Le Tribunal de commerce de Dax a jugé en audience publique le 17 juillet 2012 et a condamné la société Lamalo et ses produits “Seventyone-Percent” pour concurrence déloyale et parasitage envers la société Everything for Riders et ses produits “Jeewin Technical Sportcare”.
Et pour cela le juge a interdit à la société Lamalo de reprendre les éléments conceptuels et visuels de Jeewin en relation avec des produits cosmétiques pour sportifs, et de commercialiser tous marques, produits, concepts et idées comprenant les termes de Jeewin, ainsi que tout usage de tous autres signes identiques ou similaires aux éléments de Jeewin.
Méfiez-vous des copies !Choisissez l’original…www.jeewin.fr . »

La société Seventyone-Percent a assigné la société Jeewin pour dénigrement, position suivie par les juges parisiens qui ont rappelé « que caractérise un acte de dénigrement constitutif de concurrence déloyale le fait de jeter le discrédit sur une entreprise concurrente en répandant des informations malveillantes sur les produits ou la personne d’un concurrent pour en tirer un profit ».

On retiendra principalement de cette décision des éléments pratiques pour guider le rédacteur d’une brève relative à une décision de justice :

• tout d’abord, l’auteur de la communication doit être informé de manière objective sur la décision de justice;
• il est nécessaire de préciser, dans le corps du message, si la décision de justice n’est ou n’est pas définitive, à savoir, si elle a ou non fait l’objet d’un appel ou d’un pourvoi en cassation : en effet, dans l’arrêt commenté, JEEWIN s’était gardé de préciser que Seventyone Percent avait fait appel de sa condamnation ;
• l’information divulguée ne doit pas être ambiguë dans les termes employés : pour illustration, ne pas utiliser la notion de « copie » laissant supposer une condamnation pour contrefaçon, alors que la condamnation repose sur des actes de concurrence déloyale ;
• l’interprétation de la décision doit être juridiquement exacte : le juge a relevé que JEEWIN avait fait croire que son concurrent ne pouvait plus commercialiser ses produits alors que tel n’était pas le cas.
• il ne faut pas envoyer ce message aux clients, prospects ou partenaires commerciaux de votre concurrent condamné : ceci peut être considéré comme un détournement de clientèle et caractériser non seulement l’intention malveillante mais aussi le préjudice de dénigrement : en l’espèce, le juge a relevé que JEEWIN avait envoyé sa communication aux partenaires commerciaux de son concurrent condamné (intention de nuire), lesdits partenaires ayant alors rompu leur contrat avec la société Seventyone-Percent (préjudice).
La décision commentée n’est pas nouvelle, les exemples de condamnation étant nombreux :

• « est fautive la dénonciation faite à la clientèle d’une action n’ayant pas donné lieu à une décision de justice » ( com., 12 mai 2004, n° 02-19.199 ; n° 02-16.623.);
• « le simple fait de dénoncer à la clientèle les agissements d’un concurrent nommément désigné comme contrefacteur, alors qu’aucune décision de justice ne vient établir la réalité, constitue un dénigrement contraire aux usages loyaux du commerce engageant la responsabilité de celui qui y procède» (CA Paris, 3 avril 1995, RJDA 1995, n°10, n°1185.) ;
• « le fait de donner une publicité à la procédure intentée en la faisant connaître aux distributeurs de la marque concurrente (…)et ce alors que les défendeurs n’avaient pas encore fait l’objet d’aucune condamnation pour contrefaçon constitue un véritable dénigrement» (CA Paris, 29 novembre 1994, Gaz. Pal. 1995, somm. p. 505.).
A l’inverse, il a été considéré comme licite la publicité qui a été faite d’une ordonnance de référé, alors que l’auteur de cette publicité se faisait simplement l’écho d’une telle décision (CA Colmar, 3 septembre 2002, D. 2002, p. 2867).